Il
y a 70 ans, un formidable espoir naissait sur les plages de Normandie.
Le Débarquement si longtemps espéré était en marche. Ils étaient
anglais, américains, canadiens, français, souvent jeunes. Beaucoup y
laisseraient leur peau mais pour qu'en Europe, l'heure de la libération
puisse enfin sonner.
Il
y a de cela 70 ans, dans la nuit du 5 au 6 juin, une imposante flotte
quitte ses ports de la côte anglaise et galloise pour se regrouper en un
point situé au milieu de la Manche au Sud-Est de l’île de Wight, appelé
laconiquement Picadilly Circus. Cinq forces qui correspondent aux noms
de code des zones de débarquement Utah , Omaha , Gold , Juno et
Sword la composent. De là, le convoi naval se dirige vers les côtes
françaises à travers les chenaux aménagés par les dragueurs de mines qui
le précédent. C’est l’opération Neptune pilotée par la Royal Navy.
L'opération
n'est pas bénie des cieux. Depuis plusieurs jours, il fait gros temps
en Manche. Vent, paquets de mer, pluie forte. Un vrai temps de
sauveteur breton, une météo à ne pas mettre un seul homme sur le pont.
Cette
armada, la plus importante jamais imaginée, se compose de 6939
bâtiments dont : 1213 navires de guerre, 4126 bâtiments de
débarquement, 736 bâtiments de servitude et 864 navires marchands. Au
dessus d'elle, 11590 appareils zèbrent le ciel : 5050 chasseurs, 5110
bombardiers, 2310 avions de transport, 2600 planeurs et 700 avions de
reconnaissance. Bientôt, au ronflement des moteurs qui s'amplifie chaque
minute un peu plus, s'ajoutera le sifflement strident des chapelets de
bombes.
Dès
le jour J , une dizaine de divisions alliées va réussir à débarquer au
prix d’actions héroïques et sanglantes et établir une tête de pont avec
toute la logistique indispensable à une offensive de longue haleine.
Autour de Caen, les Allemands résisteront un mois mais à la fin juillet,
et soutenus par les actions de sabotage de la Résistance, 1.500.000
hommes auront pu débarquer en Normandie.
Mais
le Débarquement ne signifie pas la fin des souffrances pour le vieux
continent. La France connaîtra encore les martyres d’Oradour sur Glane
et du Vercors et il faudra attendre près d’un an avant la capitulation
définitive de l’Allemagne nazie mais sur les plages de Normandie va
renaître ce formidable espoir qui fait taire les armes.
Un été 44... Un dossier de Radio France Multimédia (mise en ligne 1er mai 2004 à l'occasion du 60° anniversaire).
Textes : Gérard CONREUR et pour Paroles du Jour J : Jean-Pierre Guéno.
Crédits photo : Paroles de Jour j-Ed les arènes, Les Orphelines de Normandie-Ed Circonflexe, Archives Normandie 1939-1945.
La nécessité d'un second front à l'ouest
Durant
la Seconde Guerre mondiale, Américains et Soviétiques se partagent déjà
le monde. Au front de l'Est répond un front de l'Ouest. Se fixe alors
une logique des blocs qui aboutira à Yalta.
Le
4 juin 1942, deux ans pratiquement jour pour jour avant le
Débarquement de Normandie, marque un tournant dans l’histoire de la
Seconde Guerre mondiale. Il y a plus de trois ans que le monde est en
guerre. Les Etats-Unis longtemps attentistes, ont été entraînés dans le
conflit après Pearl Harbor. Ils constitueront désormais ce fameux
arsenal des démocraties bien plus que n’aurait osé l’imaginer Franklin
D. Roosevelt avant le 7 décembre 1941 - a date which will live in infamy selon son discours au Congrès au lendemain de l'attaque nippone.
Avec
les Etats-Unis dans la guerre, c’est la première puissance économique
mondiale qui s’est mobilisée or en ce 4 juin 1942, les Américains
remportent la victoire navale de Midway dans le Pacifique. Une
victoire remportée alors que les puissances de l’axe n’ont jamais été
aussi fortes et sûres d’elles. Jusqu’à ce jour, Allemagne, Italie et
Japon ont accumulé victoire sur victoire. Avec Midway, la roue vient de
tourner, c’est un coup de semonce, peut-être un coup d’arrêt et pour les
alliés un formidable espoir qui vient de naître même si la route du
sang, de la sueur et des larmes selon les termes de Churchill sera
encore bien longue.
Pour
la petite histoire, l’archipel corallien de Midway constitué des deux
petites îles est situé au beau milieu du Pacifique comme l’indique en
anglais son nom : à mi-chemin or la victoire de Midway, se situe
chronologiquement cette fois, à mi-chemin de la Seconde Guerre mondiale…
Durant
l’hiver 41 et le printemps 1942, sur le front de l’Est, l’armée rouge
marque des points devant Moscou et en Crimée mais rien n’est acquis. La
supériorité de la Wehrmacht reste inébranlable même si elle souffre
terriblement de ce froid russe qui fait éclater les réservoirs de ses
Panzer . Alors Staline va prendre l’initiative. En août 1942, il
rencontre à Moscou, Winston Churchill et William Averell Harriman,
chargé de missions diplomatiques du président Roosevelt. C’est la
première fois, qu’à ce niveau de décision, on tente de fixer les axes
d’envergure qui marqueront le cours de la guerre. Ce que Joseph Staline
demande à ses deux interlocuteurs tient en quelques phrases : l’armée
rouge montre des signes d’épuisement car elle supporte à elle seule
toute la contre offensive du front de l’Est. Son action est déterminante
puisqu’elle monopolise et bloque sur place de nombreuses divisions
allemandes. Bientôt, dans deux semaines, ce sera le début de la bataille
historique de Stalingrad qui marquera en février 43, le premier
revers cuisant pour le Reich allemand définitivement stoppé à l’Est mais
en attendant et pour permettre aux forces soviétiques de « souffler »,
il faut que les alliés ouvrent sans tarder un second front , à l’Ouest
cette fois.
Ce
second front, c’est une logique pénétration du continent européen par
un débarquement sur les côtes de France comme l’a toujours souhaité
Winston Churchill.
Sur
le plan géopolitique, c'est aussi l'amorce d'un futur partage du monde,
entre l'Est et l'Ouest, entre URSS et USA et qui entérine un peu plus
le déclin annoncé du continent européen.
19 août 42 : le sacrifice de Dieppe
Parmi
les pages les plus noires de la Seconde Guerre mondiale, le
Débarquement de Dieppe. Des questions sans réponse autour d'une tragédie
"utile" ?
Hasard
du calendrier ou non, quelques jours après la rencontre de Moscou, le
19 août 1942 , sur les plages de Dieppe dont le port a été puissamment
fortifié par les Allemands, débarque un commando allié composé de 5000
Canadiens, 2000 Britanniques, des détachements de soldats américains et
Français de la zone libre mais un bâtiment allemand faisant route vers
Boulogne-sur-mer a repéré le convoi et donné aussitôt l’alerte.
Ce
débarquement va tourner à la tragédie sous le feu nourri des batteries
côtières. Les affrontements d’une rare violence dureront moins d’une
journée mais feront 1200 tués dont une grande majorité de Canadiens,
1600 blessés et plus de 2000 prisonniers. Quant à la RAF, elle a perdu
107 appareils tandis que l’on déplore une cinquantaine de morts et une
centaine de blessés parmi la population civile de Dieppe. Pour sa part,
l’armée du Reich compte 350 morts et autant de blessés. Le bilan est
très lourd.
Alors,
certes l’effet de surprise a été brisé ; les alliés étaient attendus et
n’avaient aucune chance de l’emporter mais d’autres questions se
posent. Pourquoi seuls 27 chars sur 50 ont-ils pu débarquer ?
Pourquoi certains furent-ils incapables de manœuvrer sur les plages ?
Pourquoi les renforts demandés et attendus aux moments les plus
critiques de l’opération ne sont-ils jamais parvenus ?
Parmi les victimes, Robert Boulanger dont voici la dernière lettre :
Le
raid de Dieppe visait-il à établir une puissante tête de pont pour
ouvrir ce fameux "second front" à l’ouest demandé par Staline comme
l'affirme la presse de la collaboration ? Cela semble peu probable.
L’opération dont la méthodologie et la finalité resteront très
controversées se solde par un bilan dramatique mais si elle pose une
quantité de questions à jamais sans réponse, elle s’avère aussi
particulièrement riche en informations de toutes sortes et sans doute
était-ce bien là le but majeur de cette mission.
Dans
les grands états-majors de guerre, la décision ne serait pas prise de
gaieté de cœur mais seule une opération de cette nature, en vraie
grandeur, permettrait de tester la capacité de riposte de l’ennemi, la
stratégie de son système de défense, ses points faibles, mais aussi la
profondeur de l’eau et la nature des courants afin d’adapter au mieux
les performances de tous les engins et barges de débarquement.
Après
Dieppe, rien ne sera plus laissé au hasard. On étudiera même la
consistance précise du sable des plages de Normandie de façon à éviter
que la prochaine fois, celle du D-Day, les chars et les jeeps ne
s’enlisent plus sur les plages constituant ainsi autant de cibles
vulnérables face aux batteries allemandes.
Après
Dieppe, les plus hauts responsables alliés, en particulier Winston
Churchill, estimeront avoir acquis là une expérience irremplaçable en
vue du débarquement de 1944.
A
Téhéran, fin 1943, Roosevelt, Staline et Churchill confirment le plan
d’un vaste débarquement à l’ouest. Les opérations seront confiées au
général Dwight Eisenhower, nommé commandant en chef des forces de
libération. Le maréchal Montgomery sera commandant en chef des armées
britanniques de libération.
Le
Débarquement interviendra le 5, le 6 ou le 7 juin 1944 (selon la météo
et les coefficients de marée) sur les plages de Normandie.
Pourquoi la Normandie ?
Pour
les stratèges allemands, les Anglo-américains débarqueront dans le
détroit du Pas-de-Calais. De nombreux paramètres techniques et
géologiques plaident en ce sens.
Les
côtes de Bretagne ou à l’opposé celles de Hollande sont trop éloignées
du rayon d’action de l’aviation et notamment des Spitfire
britanniques. Par ailleurs, les abords de la Bretagne sont dangereux et
présentent peu de possibilités de débarquement « à plat ».
La
géologie de la Hollande et ses terres facilement inondables se
prêteraient mal à une opération navale de grande envergure. L’objectif
du débarquement vise aussi à faire route vers Berlin. Là encore, si la
Hollande présente quelques atouts de proximité avec l’Allemagne, le
Pas-de-Calais constitue globalement encore le meilleur choix.
On
pourrait ajouter de nombreuses autres bonnes raisons qui discréditent
volontairement la thèse d’un débarquement en Normandie : l’échec du raid
de Dieppe anglo-canadien d’août 42 par exemple.
Enfin,
les Allemands vont avoir les yeux rivés sur le Pas-de-Calais parce
qu’ils vont être victimes d’une des plus habiles entreprises de
désinformation de toute l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ; l’
opération Fortitude selon laquelle un débarquement à Calais est
imminent. A cette occasion, les alliés vont « laisser » quelques vols de
la Luftwaffe survoler le Kent. La moisson de photographies sera
impressionnante : grand quartier général imaginaire pour le groupe
d’armée Patton dont les Allemands redoutent la combativité légendaire,
énormes concentrations de chars, d’avions et d’engins de débarquement,
autant de leurres construits en contreplaqué, carton-pâte, caoutchouc,
etc.
De
plus, les Britanniques avaient réussi à capturer l’ensemble des agents
allemands opérant en Grande Bretagne et à les « retourner » (les faire
travailler pour eux). Devenus agents doubles, ils participeront à leur
tour à cette grande supercherie.
Lorsque
l’opération Overlord aura commencé, des petites embarcations émettront
encore de puissants leurres radar simulant d’imposants bâtiments de
guerre pour continuer à faire croire qu’une flotte est en marche dans le
détroit du Pas-de-Calais.
L’un
des messages personnels de la radio de Londres à destination de la
Résistance ; les sanglots longs des violons de l’automne avait été
correctement interprété par un officier de renseignement allemand de la
15ème Armée mais sans doute crut-on que les alliés voulaient ainsi faire
diversion et détourner une nouvelle fois l’attention des allemands de
l’imminence d’opérations dans le Pas-de-Calais ?
Enfin
d’autres raisons plaideront pour la Normandie : les côtes présentent de
nombreuses similitudes avec celles de l’Ouest de l’Angleterre. En
attendant le D-Day les soldats pourront donc s’entraîner et l’on pourra
également tester la résistance et l’adaptation du matériel dans des
conditions proches du réel. C’est aussi là l’un des enseignements tirés
du raid de Dieppe.
OVERLORD : une opération parmi des dizaines d'autres
La
Seconde Guerre mondiale s’est caractérisée par la place accrue faîte au
renseignement mais aussi à la désinformation dans un camp comme dans
l’autre. Partout, on cherche à se renseigner ou à renseigner mais aussi
et surtout à désinformer selon une échelle qui va du laisser penser au
faire croire . Il faut brouiller les cartes ou encore semer la
confusion.
La
guerre psychologique confine au grand art et le renseignement vire à
l’Intelligence. Au bout du mensonge, il y a la volonté de marquer des
points, d’avancer des pions, d’épargner des vies humaines, d’abréger les
combats, de raccourcir la durée de la guerre. Parfois, on veut affirmer
sa supériorité en masquant ses points faibles. On peut aussi vouloir
plus simplement saper le moral de l’ennemi. La désinformation est une
arme comme une autre, redoutable, parfois plus meurtrière.
Pour
désigner une action, le terme employé est celui d’opération et le mot
est resté dans tous les services de renseignements actuels. De 1939 à
1945, on dénombre un peu plus de 200 Opérations d’importance majeure.
Tout
commence ou presque par l’Opération Dynamo en 1940. Dramatique
week-end à Zuydcoote qui voit l’évacuation des Anglais de la poche de
Dunkerque. Côté allemand, on pense déjà à l’Opération Attila ,
d’occupation de la France de Vichy. Avant cela, il y avait eu
l’Opération Fall Weiss de l’invasion allemande de la Pologne et il y
aura plus tard l’Opération Barbarossa de l’invasion de l’URSS, cette
fois puis l’Opération Typhoon qui vise Moscou mais revenons chez les
Alliés avec cette Opération Ambassador d’un raid britannique sur
Guernesey en 1940 ou Opération Amherst d’un raid britannique sur les
Pays-Bas en 1945.
Pour
l’Opération Caïman de 1944, le terrain choisi n’a rien d’exotique
puisqu’il concerne le centre de la France, où une action de diversion
tente de faire croire à un débarquement. Rien d’exotique non plus dans
l’Opération Cobra de 1944 qui concerne la verte campagne normande. Les
Opérations Nelson et Newton intéressent les SAS en mission en
France en 1944. L’Opération Detroit visait la Normandie aux toutes
premières heures du Débarquement autrement dit de l’Opération Overlord
(Seigneur suprême). A cette grande opération peuvent s’associer les
Opérations Elmira , Chicago , Epsom , Quicksylver (Mercure),
Bodyguard (Garde du Corps), Neptune , etc…
Parmi
les deux cent opérations les plus importantes de la Seconde Guerre
mondiale dans les deux camps confondus, on peut encore mentionner les
Opérations Maple , Tonga , Zitadelle , Merkur , Himmler , Roundup ,
Paperclip , Torch ou Avalanche …
Sans
oublier deux tragédies, l'opération Jubilee du Débarquement de Dieppe
d'août 42 et l'opération Tigre qui vit un exercice de débarquement
tourner au drame à Slapton Sands à J-40 faisant près d'un millier de
morts.
Les moyens démesurés d’une guerre de l’ère industrielle
Pour
la Seconde Guerre mondiale, un effort technologique sans précédent
exploitant à des fins militaires tous les progrès de la science, a fait
entrer l'humanité dans la guerre dite industrielle.
Le
Débarquement de Normandie est une opération démesurée d'une infinie
complexité, de la même façon que la Seconde Guerre mondiale est le
conflit le plus sanglant et le plus destructeur de tous les temps. Cette
guerre s'avére, en effet, quatre à cinq fois plus meurtrière que celle
de 1914-1918. Conflit le plus sanglant de l’histoire du monde et qui a
fait autant de victimes civiles que militaires, c'est enfin près de 30
millions de personnes déplacées entre 1939 et 1945.
le
plan des techniques : essor de l’aviation et de l’électronique avec le
radar, développement du lance-flamme, accroissement de la puissance
chimique des explosifs, progrès décisif dans la métallurgie des
blindages mais aussi dans la médecine d’urgence, etc. La Seconde Guerre
mondiale débute en Pologne avec la cavalerie et s’achève dans le Japon
d’Hiroshima et de l’ère nucléaire.
Pour
la Normandie, furent imaginés de nouveaux véhicules de débarquement, de
nouveaux blindés amphibies et le génie militaire va prendre sur les
côtes normandes toute sa signification avec les chars démineurs et
autres engins spéciaux poseurs de ponts et constructeurs de routes.
En
effet, si la Résistance a eu pour mission de détruire ou saboter toutes
les infrastructures de communication en vue de retarder l’avance de
l’ennemi vers la Normandie, le génie militaire allié va devoir rendre de
toutes urgences toutes ces infrastructures à la circulation dans les
délais les plus courts et pour la plus grande armée du monde.
Reconstruction des voies ferrées, routes et ponts, rétablissement des
télécommunications, approvisionnement en carburant d’une armée
essentiellement mécanisée en marche et enfin secours et aide aux
populations libérées.
Parmi
les engins nouveaux qui firent leur apparition sur les plages du
débarquement, le tank Sherman construit à 150 000 exemplaires était
rapide, facile à construire et à entretenir. Ses seuls défauts, un
faible blindage et une alimentation essence qui le rendaient assez
vulnérable.
Des
barges spéciales ont été conçues à la Nouvelle-Orléans pour les côtes
normandes et construites par l'industriel Andrew Jackson Higgins pour
débarquer les hommes sur les plages dans les meilleures conditions de
rapidité et d'efficacité. Le 6 juin, chacun des «Higgins Boats» va
s'ouvrir à l'avant pour libérer 36 hommes de troupe en tout juste 19
secondes.
Cherbourg
était un objectif prioritaire qui fut repris fin juin. Son port en eau
profonde était inutilisable en raison des épaves mais aussi des mines
qui l’obstruaient or dès la mi-juillet les navires pouvaient de nouveau y
accoster et trois mois plus tard, Cherbourg connaissait un trafic deux
fois supérieur à celui de New-York en 1939.
Mieux
encore, dès le 12 août, le célèbre PLUTO était opérationnel. Il
s’agissait d’un pipe line sous-marin assurant l’approvisionnement en
carburant depuis l’île de Wight jusqu’à Cherbourg, PLUTO signifiant
Pipe Line Under The Ocean . Là encore, une grande première
technologique.
Cet
inventaire du génie militaire de la Seconde Guerre mondiale serait
incomplet sans les célèbres Liberty-ships qui furent construits aux
Etats-Unis en très grande série. Les derniers modèles fabriqués le
furent en moins d’une semaine.
Comment enfin ne pas mentionner, la célèbre Jeep fabriquée à plus de 650.000 exemplaires entre 1941 et 1945 ?
Prouesse
technologique : les ports artificiels Mulberry A et B (Saint-Laurent
sur mer et Arromanches) dont la construction commença en 1943 en
Angleterre dans le secret le plus absolu. Plus de 40.000 personnes dont
majoritairement des femmes ont travaillé à ce projet qui nécessita plus
d’un million de tonnes de béton et d’acier. Le cahier des charges
militaire des Mulberry exigeait que chaque port puisse recevoir chaque
jour 2500 véhicules et 12000 tonnes de matériel pendant neuf mois, ces
chiffes allaient être largement dépassés notamment pour Port-Winston
(Arromanches).
Les
Mulberry se composaient de plusieurs pièces préfabriquées qui allaient
être ensuite remorquées à faible allure jusqu’aux côtes françaises
entre le 8 et le 18 juin et assemblées les unes aux autres à la manière
d’un gigantesque Meccano. Parmi ces pièces dont certaines avaient la
taille d'un imposant immeuble :
-
les Phoenix , caissons de béton de 20 mètres de haut, 15 de large et
70 m de long soit 6000 tonnes pour les plus importants. Arrivés sur
place, ils se remplissaient d’eau et pouvaient reposer sur le fond.
-
les Bombardons , blocs de béton creux de 65 m de long sur 8 m de
hauteur. Attachés entre eux et munis d’ancre, leur fonction était de
limiter les effets de la houle.
-
les Goosberries enfin, généralement des vieux navires marchands ou
bâtiments de guerre qui furent coulés afin de servir de brise-lames. A
ces dispositifs de ports artificiels, s’ajoutent les spuds (quais de
débarquement), les whales (pontons métalliques) reposant sur les
beetles (caissons flottants) qui permirent de fabriquer ainsi 16
kilomètres de routes flottantes.
Chronologie du Débarquement
La
nature de l'enjeu, les forces considérables en présence et l'importance
des moyens mis en œuvre excluaient l'échec, interdisant
l'improvisation. La partition du siècle devait être jouée fortissimo,
sans la moindre fausse note. Au delà de quelques heures décisives pour
notre histoire, de la sueur, du sang et des larmes qu'avait prédit
Winston Churchill se cachaient des mois de répétition.
3 juin 20H50 : Premier message de la BBC : L'heure des combats viendra…
capté par la Résistance. Il annonce le Débarquement et constitue
l'ordre de lancement des opérations de sabotages des voies ferrées de
l'ouest. En fait, les auditeurs de la Radio de Londres peuvent se douter
qu’il se prépare quelque chose d’important car les messages personnels
se sont multipliés ; près de 200 pour la seule date du 1er juin. Ce
même jour, le mauvais temps sévit sur la Manche ; pluie, vent et mer
forte, et inquiète le grand Etat-Major du Général Eisenhower.
4 juin 23H00 : La BBC diffuse des messages complémentaires dont Les sanglots longs des violons de l'automne... donnant
aux résistants l'ordre de sabotage généralisé des installations
ferroviaires non encore détruites et des installations téléphoniques.
Désormais, plus aucun train ne doit être en mesure d'acheminer du
matériel vers la Normandie. De la même façon, le réseau de
télécommunications doit être neutralisé. La première partie du vers de
Verlaine annonce l'imminence dans les deux jours des opérations Neptune
et Overlord. En Angleterre, acheminement des unités d'assaut vers les
zones portuaires, fin de l'embarquement des derniers véhicules. Le 5
juin, en raison des mauvaises conditions météo, le convoi est détourné
en pleine mer. L’Opération Overlord est provisoirement suspendue.
5
juin 3H30 : Bien que le mauvais temps persiste, Eisenhower donne le
feu vert à son état major : le jour J est fixé au 6 juin. En effet, en
raison des forces en présence et de la logistique lourde que cela
impose, il est impensable de renoncer. De plus, comme la tempête se
poursuit, les Allemands vont relâcher leur attention et ne penseront pas
qu’un débarquement puisse avoir lieu.
5 juin 20H00 : Blessent mon coeur d'une langueur monotone...
La seconde partie de la strophe vient d'être diffusée sur la radio de
Londres. Mobilisation générale de tous les réseaux et passage à
l'offensive : attaques de dépôts de munitions, de stations de
transmission, embuscades sur tout le réseau routier, harcèlement des
convois allemands.
Deux
heures plus tard, premiers bombardements des batteries côtières, des
ponts, et des stations radar du littoral normand par l'U.S. Air Force et
la R.A.F.
Sainte
Mère Eglise est touchée par plusieurs projectiles, l'un d'entre eux
incendie une maison en centre ville. La Normandie est coupée du reste du
monde.
22H55 : Parachutage des équipes d'éclaireurs britanniques dont la mission est le balisage des zones de saut.
6
juin à partir de 0h00 : 1135 bombardiers britanniques déversent 5800
tonnes de bombes sur une dizaine de positions côtières. 20 minutes plus
tard, les six planeurs du major Howard se posent non loin du pont de
Bénouville (Pegasus bridge) saisi à 0h25 et à 0h30, premiers
parachutistes sur Sainte-Mère-Eglise. John Steele , soldat de la 82ème
Airborne , se retrouve suspendu par son parachute à la flèche de
l’église. Blessé par les Allemands, il fait le mort durant deux heures
avant d’être fait prisonnier. Revenu plusieurs fois à Sainte-Mère-Eglise
après la guerre, il est mort en mai 1969.
1h10
: Le PC allemand de Saint-Lô apprend les parachutages dans la région
de Caen. La 7ème Armée est mise en alerte. A la même heure,
parachutage en Bretagne d’équipes de reconnaissance qui prépareront le
travail des commandos de sabotage qui seront largués le lendemain.
1h30 : La 101ème Division Aéroportée est larguée à l’est d’Utah Beach. Peu après, parachutage anglais à l’est de l’Orne.
2h30
: Bombardements sur l’ensemble des côtes. Devant Omaha Beach ,
transfert des troupes des navires sur les barges de débarquement. 3h00,
tous les navires de guerre sont en position.
3h50
: A terre, les paras anglais s’emparent de Ranville, premier village
libéré. A 4h30, Sainte-Mère Eglise est prise ainsi que les îles
Saint-Marcouf.
5h50
: Les 6.939 navires de l'armada alliée abordent les côtes normandes.
Les premières salves de marine explosent sur le littoral. La première
vague d'assaut est à six kilomètres des côtes.
6h00
: 13.400 tonnes de bombes larguées sur les plages. Une demie heure
plus tard, premières vagues d’assaut sur Utah et Omaha Beach.
Une page de l'Histoire du monde est en train de se tourner.
Des orphelines sur les routes...
Hormis
l’absence des parents, rien ne manquait aux petites pensionnaires qui
se sentaient protégées et aimées par les « M’an », leurs institutrices :
On était très protégées au Clos et j’ai eu une enfance très heureuse.
Je me souviens très bien qu’une fête de Noël, j’avais demandé quelque
chose de très spécifique : un berceau avec un baigneur. Et les M’an
l’ont fait de leurs mains – elles avaient transformé une boîte à
chaussures en berceau, et elles y ont mis un petit bébé, habillé
exactement comme je voulais.
Gaston,
le jardinier du Clos entretenait avec soin le grand potager qui
fournissait les légumes frais tous les jours. Le jardinier, c’était un
réfugié qui était arrivé au Clos. C’est lui qui a ramassé les pommes
pour faire du cidre. Il est parti quand nous sommes parties sous la
mine, mais je crois qu’il a été arrêté par les Allemands.
Puis
survient le Jour J du débarquement : Très tôt le matin de nombreuses
escadrilles ont survolé Saint-André ; les bombardements ont commencé
sans répit. Ca m’a réveillée et je me demandais : Qu’est-ce qui se passe
? C’était monstrueux, infernal – le ciel était couvert d’avions. Mais
au moins on pouvait partager la peur avec les autres filles !
Bientôt
sonne l’heure de l’évacuation, du sauve-qui-peut dans les galeries
souterraines d’une mine de fer de Saint-André sur Orne. Pendant ce
temps, sous les bombardements, les Allemands investissent le Clos. Rien
n’est épargné, le potager, la basse-cour et les clapiers : Dans le
clos presque abandonné, les Allemands volent et mangent nos petits
lapins. Je me souviens surtout que les Allemands allaient se servir de
tout. Les M’an se sont toujours débrouillées pour qu’on ait à manger.
Quand nous étions sous la mine, elles retournaient au Clos, elles
risquaient leur vie, pour aller chercher à manger.
Le 14 juillet, les Allemands exigent que les petites filles du Clos évacuent la mine. Sans destination, elles prennent la route, sous les bombardements. Cadichon, le petit âne du clos emmène les petites filles qui sont trop jeunes pour marcher longtemps à pied. C’est alors la traversée de la forêt de Cinglais où les enfants vont croiser des chars allemands en flammes, des cadavres aussi. Bravement, les petites suivront les autres évacués. Elles ont des drapeaux blancs qu’elles agitent à l’approche des avions.
Elles
arriveront à Acqueville, puis Falaise bombardée : Je pleurais en
traversant Falaise, j’y suis née et je disais : - c’est mon pays ! Ce
qui faisait plus mal, c’était de voir tous les radiateurs pendre, tous
les murs cassés. On voyait toutes les couleurs selon la pièce – c’était
du bleu, du rose, du vert, du jaune – on voyait tout ça. Et le cimetière
où était ma mère, la pauvre, ça avait été tellement bombardé que ce
n’était plus rien.
Sur
les routes de l’exode, les jours se succèdent et le 11 août, quelques
jours après leur arrivée à Beaufort-en-vallée, les petites filles du
Clos ont le bonheur de voir arriver les chars américains. Ca les console
de tout ce qu’elles ont perdu : Les Américains nous donnaient du
chewing-gum. On ne savait pas ce que c’était et on avalait le
chewing-gum, on pensait que c’était des bonbons !
Mais
le Clos Saint-Joseph, le jardinier Gaston et l’âne Cadichon viennent,
pour les petites orphelines de Normandie, d’entrer dans le passé d’une
enfance que la guerre a brisé.
Librement inspiré du livre : Le Orphelines de Normandie publié aux Editions Circonflexe avec France Bleu)
Paroles du Jour J
Nous
étions la seconde vague de débarquement… J’ai vu les hommes de la
première vague tomber sous le feu des mitrailleuses et des fusils. J’ai
vu ce qui s’est passé lorsqu’une péniche de débarquement chargée de
chars s’est arrêtée à une trop grande distance de la plage, déchargeant
ses chars qui ont tous coulé à pic… J’ai vu les hommes sortis des
landing crafts, se débattant dans une eau trop profonde, essayant
d’atteindre la terre ferme avant de se noyer…
Lettre de Franz Gockel :
Chers parents, chers frères et sœur,
Mardi,
le 6 juin, il y a eu une attaque sans précédent, une attaque
inimaginable, du jamais-vu, même sur le front de l’Est… A 1h30, l’alarme
s’est déclenchée : nous avons été bombardés par les Américains. A
l’aube vers 4 heures, nous avons commencé à deviner la silhouette des
premiers gros navires ennemis. A peine les distinguions-nous que des
éclairs jaillissaient déjà de leurs canons à une cadence infernale. De
leur côté, les bombes larguées par les avions n’arrêtaient pas de
siffler. Il n’y eut bientôt plus un mètre carré de sol qui ne soit
touché par les bombes ou par les obus. (…) J’étais avec ma mitrailleuse
dans mon abri. Et puis la boucherie a commencé.
Jean-Pierre Guéno : « On ne triche pas avec des lettres »
Soixante dix ans… Il est temps de sortir de la légende, de ce jour J tel que le raconte Le jour le plus long , le film de Darryl Zanuck qui fait du débarquement une sorte d’opéra-bouffe. Déjà le travail de Steven Spielberg avec Il faut sauver le soldat Ryan et sa série Band of Brothers
a commencé à rétablir la vérité : le débarquement a été une effroyable
boucherie et, surtout, il ne s’est pas limité au Jour J.
Dans
les semaines qui ont suivi le 6 juin, la bataille de Normandie a fait
près de 20 000 morts chez les civils et plus de 150 000 chez les
Alliées et les Allemands. Il suffit d’aller dans les cimetières
militaires de Normandie pour comprendre.
Mais
s’il avait vraiment voulu vraiment être réaliste, Spielberg aurait dû
prendre des acteurs âgés d’à peine 20 ans. Voila ce que l’on n’ose
jamais dire : les adultes vont faire la guerre à des gosses, à des
enfants auxquels dans une entreprise on demanderait à peine de faire des
photocopies !
C’est
tout l’intérêt de publier des correspondances écrites en pleine action
par ceux-là mêmes qui la vivent. A qui écrivent ces soldats ? A leur
maman plus qu’à leur petite amie. Ce ne sont pas des hommes, ce sont des
gamins. Pour être là, ce jour là beaucoup ont dû prendre la décision de
quitter leur famille à l’âge où ils se rasaient à peine. On ne peut pas
tricher avec des lettres. Ceux qui racontent, ce ne sont pas les
vétérans que les télévisions s’arracheront pour la commémoration. C’est
ceux qui avaient 18 ans lorsqu’ils ont mis le pied sur la plage d’Omaha.
Ce
décalage m’avait déjà frappé avec Paroles de poilus . Mais avec
Paroles du Jour J , je me suis senti encore plus d’empathie. Parce
qu’il s’agit d’une guerre moderne avec des tanks, des avions. D’une
guerre qui, comme celle du Vietnam ou de Bosnie, prend au piège les
civils. Une guerre que nos générations pourraient vivre. Une grande
partie du livre est d’ailleurs consacrée à ces civils qui meurent sous
les bombes.
Paroles
de poilus avait réveillé le souvenir de la Grande Guerre. J’espère
que Paroles du jour J fera définitivement sortir la Libération de
l’image d’Epinal.