mardi 15 février 2011

Paquebot France, le dernier des géants






Le musée national de la Marine présente du 9 février au 23 octobre  2011 une grande exposition consacrée au paquebot France. Lancé le 11 mai 1960, il fut l’un de ces derniers géants des mers prestigieux assurant la traversée Le Havre-New York en 5 à 6 jours. Sur le transatlantique, excellence à la française, fines bulles de champagne et mets raffinés. Bienvenue à bord du France.

Les croisières sont à nouveau à la mode très curieusement depuis le succès mondial du film Titanic dont on prévoit une nouvelle sortie en 3d cette fois en avril 2012 à l’occasion du 100ème anniversaire de sa mise en service le 10 avril 1912 et de son naufrage 5 jours plus tard. Or ni le Titanic, ni le France ne furent destinés à  l’origine aux croisières. Il s’agissait de paquebots transatlantiques, des liners, possédant cette architecture très profilée qui leur permettait d’affronter des conditions de mer particulières dans l’Atlantique Nord.

La Grande Bretagne et la France ont occupé une place de choix dans la traversée transatlantique, de la fin du 19ème siècle à nos jours, avec la Cunard ou la White Star Line qui fusionnèrent par la suite, côté anglais, et la Compagnie générale transatlantique, surnommée la French Line en France. Outre le Titanic, on peut évoquer les Mauretania, Lusitania, Olympic, Queen Mary ou le Queen Elizabeth. En France, l’Ile de France, le Normandie et bien sûr le France.

Le France – ou plutôt France comme on devrait le nommer - reste aux yeux de nos concitoyens un paquebot de rêve devenu une véritable légende, mieux une de ces histoires d’amour mais qui finit mal en général comme le chantaient les Rita Mitsouko. Il faut reconnaître, objectivement aujourd’hui, que cette histoire du France n’avait pas commencé sous les meilleurs auspices.

Si le Royaume Uni a connu le drame du Titanic en 1912, puis celui du Lusitania torpillé par un sous-marin allemand en 1915 ou encore l’incendie du Queen Elizabeth au large de Hong-Kong en 1968, la France n’a pas été épargnée : le paquebot Paris (1916) très proche dans sa conception du France (de 1912) brûle et chavire dans le port du Havre en 1939. L’Ile de France, lancé en 1926 et qui a connu une carrière prestigieuse – il a participé à plusieurs sauvetages qui lui ont valu le surnom de Saint-Bernard des mers – va être vendu à une firme japonaise en 1958 et servira de décor à une production hollywoodienne. Il est partiellement coulé en mer du Japon et saccagé pour les besoins du film avant d’être démantelé. En France où l’émotion est considérable, on crie au scandale. La fin du célèbre Normandie, Ruban Bleu en 1935, est elle-aussi dramatique. Réquisitionné à New York où il doit être transformé pour le transport de troupes sous le nom de l’USS Lafayette, le Normandie est dévasté par un incendie en 1942 et alors qu’il aurait pu être sauvé, il est expédié à la ferraille.  

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la question de construire des grands paquebots se pose en termes économiques face au développement sans précédent du transport aérien. Même si les vols sont longs et coûteux entre Paris et New York, même si le confort est encore limité et les escales inévitables, on voyage en Constellation depuis 1946 à 520 km/h de vitesse de croisière et on évoque dès 1952 ce nouvel avion que prépare la firme Boeing : le 707 qui doublera pratiquement cette vitesse de croisière. Alors, que penser de ces cinq à six jours de navigation qu’il faut à un paquebot pour traverser l’Atlantique ?

Si le coup de cœur de remplacer le Normandie a été pris dès 1952, il va falloir quatre ans pour arrêter la décision officielle de lancer la construction du France : 1956. Quatre ans de débats, de tractations, de rebondissements, de controverses. Faut-il construire deux navires classiques ou un seul plus gros et plus rapide ?  Ces quatre années à jamais perdues auront une résonance particulière le jour où le France, jugé trop coûteux, bouclera prématurément son dernier voyage.

Achevé en novembre 1961, le France – troisième du nom après celui de 1864 et celui de 1912 – est mis en service le 19 janvier 1962. Il effectue sa première traversée transatlantique le 3 février et comme prévu il arrive à New York le 8 février 1962 sous une parade de remorqueurs, de bateaux pompes, de vols d’hélicoptères, etc. La légende du France ne fait que commencer et va se poursuivre une douzaine d’années. Ce qui, finalement, est bien peu.

Tandis que l’avion se démocratise de plus en plus, il faut très vite trouver une clientèle complémentaire plus orientée vers les croisières. Croisières aux Canaries, au Brésil, aux Antilles, en Méditerranée… A thème pour l’exposition de Montréal en 1967, sur les pas de Napoléon 1er en 1969, autour du monde sur le thème du tour du monde en 80 jours de Jules Verne. Enfin, courant 1974, une deuxième croisière autour du monde au cours de laquelle on apprendra la terrible nouvelle du prochain arrêt du paquebot.


Il faut se faire une raison : le France est devenu un gouffre financier. Le paquebot n’est plus rentable. Sur l’Atlantique Nord, l’avion a définitivement gagné la partie avec le Boeing 747, ce gros porteur  capable d’emporter entre 350 et plus de 500 passagers. Circonstances aggravantes, le premier choc pétrolier de 1973 avec ce quadruplement du prix du baril ou encore cette faiblesse chronique de la devise américaine. Pour VGE et son premier ministre, Jacques Chirac, qui voient les difficultés économiques et le chômage augmenter, comment pourrait-il être question de demander à la collectivité nationale un effort supplémentaire pour sauver le France ? Alors, la Transatlantique ne va pas avoir d’autre choix que de désarmer et mettre en vente le paquebot.

L’image du France amarré au quai de l’oubli est restée dans les mémoires de ceux qui avec passion auront tenté l’impossible pour le sauver. Un saoudien s’en porte acquéreur qui le revendra à un armateur norvégien. Le France deviendra alors le Norway en 1979. Le paquebot, rentabilité oblige, sera transformé pour accueillir bien plus de passagers et son équipage sera réduit au strict nécessaire mais les chantiers navals du Havre ne remporteront pas le marché pour la transformation de l’ex-France. Le 18 août 1979, une foule émue observe le départ du Norway. Aux trois coups de sirène traditionnels du paquebot, les remorqueurs ne répondront pas. Chacun a la gorge serrée.

Mais la descente aux enfers de l’ex-France ne fait que commencer. Après avoir barboté dans la mer des Caraïbes pour des croisières qui n’avaient plus rien à voir avec sa splendeur passée, le Norway va connaître de nombreuses autres transformations en 1982, 1990 et 1996. En 2003, le paquebot est fortement endommagé par l’explosion de l’une des quatre chaudières mais son sauvetage est possible. Cependant une série de circonstances va conduire le Norway à la ferraille vers son ultime destination face à la plage d’Alang en Inde qui n’a rien d’une station balnéaire. Le nouvel ennemi du France s’appelle désormais l’amiante. Après l’incendie spectaculaire qui avait dévasté le Normandie, en 1942, les architectes du France l’avaient truffé d’amiante qui en faisait aujourd’hui un gigantesque déchet industriel dangereux dont personne ne voulait entendre parler. Idem pour le porte-avion Clemenceau. Les deux bâtiments qui furent l’orgueil de la France seront-ils condamnés à errer sur les mers du globe comme deux vaisseaux fantômes sans jamais pouvoir accoster ici ou là ?


Aujourd’hui le France est entré dans le passé comme un navire qui sombre dans l’océan de la nuit.

Paquebot France, l’exposition. Musée national de la Marine, 17, Place du Trocadéro, du 9 février au 23 octobre 2001. Nocturnes tous les vendredis. Le site est ici.




Gérard Conreur pour France Culture, 15 février 2011

mercredi 9 février 2011

Plein pot sur une passion française, la 4L



Elle n’est pas vraiment belle… comme le dit la chanson. Elle a des yeux ronds, une tête au carré. Mais un look qui n’a pas pris une ride malgré ses cinquante ans bien frappés. Elle, c’est la 4L, la R4 que la Régie Renault proposa aux Français en vue de les détourner de la mythique Deuche… de Monsieur Citroën. Retour sur une …passion française.

Rien de bon ne se fait sans passion… C’était le cri du cœur des Lip et du syndicaliste Charles Piaget durant les années Giscard lorsque la France repliait à regret quelques bannières de sa renommée pour ouvrir ça et là des friches industrielles. Exit, les fleurons du Made in France dont l’emblématique paquebot France amarré au Quai de l’Oubli au Havre. Les Lip, c’était Besançon, une usine horlogère dont le savoir faire remontait à Monsieur Lipmann qui avait offert une montre chronomètre à Napoléon 1er.  Depuis, on était passé de l’Empire à la République, et de la belle ouvrage mécanique à ces petits cœurs de quartz anonymes mais qui ne prennent qu’une seconde de retard en dix mille ans de fonctionnement.

Comme la 2 chevaux qui ne ressemble à rien, comme cette tour de métal surgie dans le Paris du baron Haussmann, comme encore la Caravelle, le Condorde ou le TGV, le Moulin rouge, le camembert et pourquoi pas le beaujolais, la 4L est une part essentielle de notre exception nationale, un fragment intime de notre identité. Quelque chose dont nous seuls étions quasi génétiquement porteurs. Elle n’aurait pas pu voir le jour à Osaka ou à Sidney. Elle est née sur une table à dessin, entourée de fumeurs de Gitanes. Au bistro de l’usine, on parlait d’elle et peut-être déjà des cadences infernales.

Pendant la guerre, quelques résistants imaginent en rêvant à la paix, ce que pourrait être la voiture de Monsieur Tout-le-monde et ils prennent  pour exemple la voiture du peuple – littéralement : la volkswagen – une voiture économique que chaque famille allemande doit pouvoir s’offrir, selon le chancelier Hitler, par le biais d’une épargne modeste et continue de timbres disponibles au Parti et que l’on colle sur des cahiers prévus à cet usage. Lorsque le cahier est plein, la voiture est à vous.

En France, cette voiture du peuple sera la 4cv et verra le jour en 1946. Comme la coccinelle, elle possède un moteur à l’arrière et des formes très arrondies. Ce n’est pas le grand luxe. La France de l’après-guerre connaît le rationnement, les privations, la pénurie, encore le marché noir, et les restrictions de toutes sortes. Ainsi la 4 chevaux n’existe qu’en une seule couleur : « sable » qui évoque Rommel et l’Afrika korps – aurait-on par hasard fait main basse à Billancourt sur un stock de peinture militaire oublié par l’occupant ? La petite voiture ronde deviendra vite, affectueusement, la 4 pattes ou encore la motte de beurre mais malgré son succès populaire, ses ventes ne rivaliseront jamais avec celles de la Fiat 600, plus récente, ou de la Volkswagen même si en 1955, elle reste la voiture la plus vendue en France.

Dix ans après sa naissance, la 4 chevaux accuse le coup. Son look est désuet, son confort spartiate, ses performances limitées. Le clignotant sur la 4cv, c’est encore cette flèche lumineuse qui se lève et s’abaisse. On ne fait pas plus empirique. Pour la direction de la Régie, il faut passer à autre chose. Les années cinquante et plus encore la décennie qui va suivre marquent le retour de la France à la prospérité. Nous sommes au cœur des Trente Glorieuses. Les mœurs ont changé. La façon de vivre, de consommer, de s’habiller, tout est remis en question avec l’exemple venu tout droit de l’Amérique. Génération Coca, pop corn, blue jeans et bien sûr rock’n’roll... Place nouvelle de la femme active. Société promise aux loisirs, à l’évasion, aux congés payés. Ces années-là passent de la messe du Dimanche au culte du week-end. La bagnole fait salon et du salon on passe au living.

La Renault 4, autrement dit la R4 ou encore la 4L voit le jour sur l’Île Seguin en août 1961. C’est une réponse de Renault à la 2cv Citroën, réponse ou riposte que n’avait su apporter jusqu’alors la 4 chevaux. Cette fois, le match va être plus serré et s’il n’est pas décisif dans la gamme des véhicules populaires de grande diffusion, la Renault 4 marquera définitivement l’histoire de l’automobile en France. Deudeuche et Renault 4 nous laissent pantois sur l’inventivité d’un siècle passé à une époque – la nôtre – où toutes les bagnoles se ressemblent. Ajoutons enfin que ce vingtième siècle avait aussi commis la cocotte-minute et le Vélosolex…

Des années secrètes de la R4 – la phase de conception baptisée Programme 350 – bien peu de choses ont transpiré. Quelques photos ou vues d’artistes… Destinée à talonner la 2cv sur le même modèle économique, la 350 sera une traction avant. A l’opposé donc, c’est le cas de le dire, de la 4cv. Terminées aussi les courbes arrondies, la nouvelle Renault adoptera la coupe au carré et l’angle droit et quand le beau jour arrive d’une première présentation aux professionnels de la marque, la consternation se lit rapidement sur les visages avec une implacable certitude : avec un look pareil, cette voiture ne se vendra jamais.


La Renault 4 termine sa carrière en 1992 et tient le record de la voiture française la plus fabriquée : 8 135 424 exemplaires. Deux choses encore, c’est probablement l’un des dernières voitures que l’on pouvait encore démarrer à la manivelle et qui oubliera ce manche de parapluie qui lui faisait office de levier de vitesse ? Enfin, au cours de son existence, la R4 aura vu apparaître les feux de détresse et la ceinture de sécurité. Elle a servi, en livrée rouge, chez les sapeurs-pompiers, en bleu chez les gendarmes, en jaune avec l’oiseau bleu chez les postiers, en blanc nature pour l’armée. Sa dernière apparition au cinéma est récente : Rien à déclarer, le dernier film de Dany Boon. Mais elle apparaît furtivement dans Frenzy d’Alfred Hitchcock en 1972, La Boom, le Grand Bazar, La soupe aux choux, les visiteurs, etc. Sans oublier la scène culte de Trafic de Jacques Tati en 1971.

En 1992, le journal L’Humanité regretta sa disparition : Pas seulement par nostalgie du mythe de toute une génération, mais surtout parce que la firme nationale n’a pas voulu lui trouver une remplaçante. La Clio, trop chère, et la Twingo, qui n’aura pas son côté « tous usages », se situent dans un autre segment. La voiture la plus populaire de France meurt sans descendant.


Gérard Conreur pour France Culture, 9 février 2011



jeudi 3 février 2011

Le dernier sanglot à Paris

Elle était belle. Elle aimait probablement BachLes Beatles… Pas moi qu’elle ne connaissait pas. Elle fut longtemps la petite fiancée du cinéma avec ses jolis cheveux bouclés mais sous le pont de Bir Hakeim où coule la Seine et où tous les jours depuis des années, je prends mon 72, j’ai souvent eu à l'esprit les images du film de Bernardo Bertolucci, le Dernier tango à Paris, pas forcément ces images qui firent, bien à tort, tout le succès du film, l’argent du beurre en quelque sorte.

Maria Schneider est morte jeudi 3 février à Paris des suites d’une longue maladie comme on le dit parfois même si cancer, ce n’est pas un gros mot. Elle avait 58 ans. Elle était la fille d’un mannequin, Marie Christine Schneider et de l’acteur Daniel Gélin qui, probablement dans un moment de distraction, avait oublié de la reconnaître... Elle tourna dans une trentaine de films, pas nécessairement des bleuettes : Les nuits fauves de Cyril Collard en 1992 mais aussi Profession : reporter de Michelangelo Antonioni, film de Jacques Rivette Merry-Go-Round ou de Bertrand Blier : Les Acteurs. Ou encore cette Dérobade de Daniel Duval. 



Gérard Conreur pour France Culture, 3 février 2011