Roger Planchon laissera l’image d’un saltimbanque de la scène au sens
noble du terme. A 18 ans, Il monte sur les planches dès 1949 après avoir
remporté un concours de théâtre amateur. Trois ans plus tard, il crée le théâtre
de la Comédie à Lyon. Voila pour les premières lignes d’un texte qui tiendrait
plus de la bio voire du CV que de la nécro, thème infâme qui tente d’accommoder
la viande froide à toutes les sauces.
Roger Planchon |
En
réalité, celui qui vient de disparaître derrière le rideau rouge, est l’un de
ces géants qui ont fait du populaire
sans l’être véritablement auprès du grand public. « J’ai fait du théâtre, disait-il avec cette modestie des gens
de la ruralité, pour des gens comme mes
parents, qui étaient illettrés ». Ainsi parlait l’Ardéchois. Planchon,
c’était une suite de personnages servis avec fidélité et respect y compris dans
les registres les plus ingrats. Et avant d’aller plus loin, justement, comment
ne pas évoquer sa carrière au cinéma en ce jour où s’ouvre le festival de
Cannes ? Le cinéma comporte un avantage essentiel sur le théâtre :
les comédiens et les personnages qu’ils incarnent ne meurent jamais tout à
fait. On peut donc voir Planchon, le revoir et on le reverra encore longtemps. Jean Vilar n’aura pas eu cette
chance : il a fait trop peu de films même s’il faut compter avec Les portes de la nuit et encore y
joue-t-il le rôle peu banal du destin…
Roger Planchon, lui, c’est autre chose. Il était dans la
modernité du siècle. Du théâtre, avant tout, mais aussi pas mal de films dans
lesquels il promène sa dégaine un peu flegmatique et ce sourire un peu triste
qui n’appartenait qu’à lui. Un condamné
à mort s’est échappé, le film culte par excellence, Bresson,
1956. Moins noir et blanc, plus commercial sans doute, La 7ème cible de Claude Pinoteau en 84, c’est Lino
Ventura et Planchon. Juste avant, Planchon est le redoutable Fouquier-Tinville
dans le Danton d’Andrzej Wajda en
1983. Faut-il rappeler que Danton
est Depardieu et vice versa. Planchon
avait déjà joué aux côtés de Depardieu dans Le retour de Martin Guerre en 82. Dans les duos improbables, Train d’enfer de Roger Hanin, tiré d’un
fait divers. Pas de quoi pavoiser sur la richesse du scénario mais Planchon y
campe un personnage particulièrement glauque, « dégueulasse » comme
aurait dit Léo Ferré et c’est ce que
l’on retiendra surtout de ce film, son indéniable présence. D’autres films
pourraient encore être cités ici, plus ou moins importants avant que Roger
Planchon ne se décide à passer à son tour derrière la caméra. Il ne laissera
pas une empreinte indélébile dans le 7ème Art mais on peut se
souvenir de Louis, enfant roi ou encore
de Toulouse-Lautrec.
Côté planches. Faire du théâtre juste après la guerre
suppose avant tout avoir une foi immense, c’est ainsi que se détacheront des
Vilar ou des Planchon. Il faut alors vivre de rien, sans argent, sans scène et
ne pouvoir compter sur personne. Enfin presque personne. Quelques rares
passionnés un brin mécènes, un public clairsemé, quelques comédiens en devenir.
Dans le sillage de Vilar et en Avignon, il y a des Noiret, Gérard Philippe,
Jeanne Moreau et Silvia Monfort. Dans celui de Planchon
graviteront autant de Jean Bouise, Jean Carmet, Michel Serrault, la grande Annie
Girardot, Roland Dubillard, sans
oublier Robin Renucci. Alors, TNP se
conjugue aussi au passé simple de Planchon autant qu’il a appartenu à l’époque
de Vilar. Dernière différence, peut être, entre les deux hommes, un répertoire
peut-être plus accessible chez Planchon qu’il ne le fut chez le créateur
d’Avignon ? Molière et Marivaux, Ionesco chez Planchon. Du populaire,
vraiment.
Enfin le meilleur pour la Fin, ce mot si pratique au cinéma
mais qui fait parfois défaut au théâtre. Si la mort d’un poète est, dit-on,
plus triste que celle d’un boucher-charcutier sauf pour les amateurs
d’andouille, celle de Roger Planchon ressemble fort à celle de Jean Vilar. La
mort est venue du cœur. De ce cœur qu’ils ont mis à l’ouvrage à tant vouloir
nous faire connaître ces textes dont le temps a parfois oublié les auteurs.
Cette mort s’inscrit dans la disparition progressive mais inéluctable d’une
génération magistrale dont on espère une rapide relève. Planchon… Vilar… De l’un à l’autre,
ils nous renvoient à des temps héroïques qui sentaient la rosée sur les herbes
sauvages, les petites routes de campagne qui menaient à une gloire éphémère,
les cloitres abandonnés, les tréteaux improvisés et les maigres recettes.
De Planchon, on pourra dire qu’il a fait du théâtre de 18 à 77 ans et qu’ensuite il est mort.
Gérard Conreur pour France Culture, 13 mai 2009