mercredi 13 mai 2009

Planchon côté ciné et côté planches



Roger Planchon laissera  l’image d’un saltimbanque de la scène au sens noble du terme. A 18 ans, Il monte sur les planches dès 1949 après avoir remporté un concours de théâtre amateur. Trois ans plus tard, il crée le théâtre de la Comédie à Lyon. Voila pour les premières lignes d’un texte qui tiendrait plus de la bio voire du CV que de la nécro, thème infâme qui tente d’accommoder la viande froide à toutes les sauces.

Roger Planchon
En réalité, celui qui vient de disparaître derrière le rideau rouge, est l’un de ces géants qui ont fait du populaire sans l’être véritablement auprès du grand public. « J’ai fait du théâtre, disait-il avec cette modestie des gens de la ruralité, pour des gens comme mes parents, qui étaient illettrés ». Ainsi parlait l’Ardéchois. Planchon, c’était une suite de personnages servis avec fidélité et respect y compris dans les registres les plus ingrats. Et avant d’aller plus loin, justement, comment ne pas évoquer sa carrière au cinéma en ce jour où s’ouvre le festival de Cannes ? Le cinéma comporte un avantage essentiel sur le théâtre : les comédiens et les personnages qu’ils incarnent ne meurent jamais tout à fait. On peut donc voir Planchon, le revoir  et on le reverra encore longtemps. Jean Vilar n’aura pas eu cette chance : il a fait trop peu de films même s’il faut compter avec Les portes de la nuit et encore y joue-t-il le rôle peu banal du destin…

Roger Planchon, lui, c’est autre chose. Il était dans la modernité du siècle. Du théâtre, avant tout, mais aussi pas mal de films dans lesquels il promène sa dégaine un peu flegmatique et ce sourire un peu triste qui n’appartenait qu’à lui. Un condamné à mort s’est échappé, le film culte par excellence,  Bresson, 1956. Moins noir et blanc, plus commercial sans doute, La 7ème cible de Claude Pinoteau en 84, c’est Lino Ventura et Planchon. Juste avant, Planchon est le redoutable Fouquier-Tinville dans le Danton d’Andrzej Wajda en 1983. Faut-il rappeler que Danton est Depardieu et vice versa. Planchon avait déjà joué aux côtés de Depardieu dans Le retour de Martin Guerre en 82. Dans les duos improbables, Train d’enfer de Roger Hanin, tiré d’un fait divers. Pas de quoi pavoiser sur la richesse du scénario mais Planchon y campe un personnage particulièrement glauque, « dégueulasse » comme aurait dit Léo Ferré et c’est ce que l’on retiendra surtout de ce film, son indéniable présence. D’autres films pourraient encore être cités ici, plus ou moins importants avant que Roger Planchon ne se décide à passer à son tour derrière la caméra. Il ne laissera pas une empreinte indélébile dans le 7ème Art mais on peut se souvenir de Louis, enfant roi ou encore de Toulouse-Lautrec.

Côté planches. Faire du théâtre juste après la guerre suppose avant tout avoir une foi immense, c’est ainsi que se détacheront des Vilar ou des Planchon. Il faut alors vivre de rien, sans argent, sans scène et ne pouvoir compter sur personne. Enfin presque personne. Quelques rares passionnés un brin mécènes, un public clairsemé, quelques comédiens en devenir. Dans le sillage de Vilar et en Avignon, il y a des Noiret, Gérard Philippe, Jeanne Moreau et Silvia Monfort. Dans celui de Planchon graviteront autant de Jean Bouise, Jean Carmet, Michel Serrault, la grande Annie Girardot, Roland Dubillard, sans oublier Robin Renucci. Alors, TNP se conjugue aussi au passé simple de Planchon autant qu’il a appartenu à l’époque de Vilar. Dernière différence, peut être, entre les deux hommes, un répertoire peut-être plus accessible chez Planchon qu’il ne le fut chez le créateur d’Avignon ? Molière et Marivaux, Ionesco chez Planchon. Du populaire, vraiment.

Enfin le meilleur pour la Fin, ce mot si pratique au cinéma mais qui fait parfois défaut au théâtre. Si la mort d’un poète est, dit-on, plus triste que celle d’un boucher-charcutier sauf pour les amateurs d’andouille, celle de Roger Planchon ressemble fort à celle de Jean Vilar. La mort est venue du cœur. De ce cœur qu’ils ont mis à l’ouvrage à tant vouloir nous faire connaître ces textes dont le temps a parfois oublié les auteurs. Cette mort s’inscrit dans la disparition progressive mais inéluctable d’une génération magistrale dont on espère une rapide relève. Planchon… Vilar… De l’un à l’autre, ils nous renvoient à des temps héroïques qui sentaient la rosée sur les herbes sauvages, les petites routes de campagne qui menaient à une gloire éphémère, les cloitres abandonnés, les tréteaux improvisés et les maigres recettes.

De Planchon, on pourra dire qu’il a fait du théâtre de 18 à 77 ans et qu’ensuite il est mort.

Gérard Conreur pour France Culture, 13 mai 2009