mardi 27 juillet 2010

Les "Trois Glorieuses" ou la République confisquée

En Août 1829, Charles X appelle au gouvernement le prince Jules de Polignac. Ultra parmi les ultras, Polignac est un mystique dévoué corps et âme à son roi et paralysé dans une vision de la société que déforment les préjugés les plus redoutables. Il succède à Martignac que Charles X a sans doute jugé trop libéral. En fait, pour Charles X, c'est une maladresse de plus et la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Charles X - gravure sur bois

Charles X devient plus impopulaire que jamais. Les caricaturistes du temps s'en donnent à cœur joie, sans retenue aucune et le montrent le regard hébété, des oreilles d’âne et brisant entre ses dents une noisette. Charles X devient pour eux le grand casse-noisette du 25 juillet. Inutile de traduire ce qu’est encore de nos jours un casse-noisette... 

Le successeur de Louis XVIII a dissous la Chambre jugée trop hostile au pouvoir mais les élections lui retournent une opposition plus ardente encore. Devant cet état de fait, Charles X et Polignac décident le 25 juillet 1830, de régler une fois pour toute la situation par quatre ordonnances dites de Saint-Cloud. La deuxième ordonnance prononce la dissolution de la Chambre avant même que celle-ci ne se soit réunie, la troisième réserve le droit de vote aux seuls riches propriétaires fonciers restreignant ainsi fortement la capacité électorale. La quatrième ordonnance fixe la date de nouvelles élections mais surtout la toute première ordonnance suspend la liberté de la Presse accusée d'être un instrument de désordre et de sédition et contraint celle-ci à l'autorisation préalable. Pour les directeurs de journaux, c’est la ruine et le chômage. De nombreuses publications disparaîtront. 

Dans d'autres branches d'activité, les nouveaux exclus du corps électoral, suivant l'exemple de la Presse, licencient tout leur personnel. Ces nouveaux chômeurs constitueront, le moment venu, les émeutiers les plus motivés. N'est-ce pas à cause du gouvernement qu'ils se retrouvent sur le pavé ? 

Pour les intellectuels et la haute bourgeoisie, la coupe déborde tandis que les journalistes donnent le signal de la rébellion le 26 juillet 1830. Après concertation, plusieurs journaux paraissent le lendemain, le mardi 27 juillet, malgré l'ordonnance, publiant en bonne place le même manifeste : Le Moniteur a publié enfin ces mémorables ordonnances, qui sont la plus éclatante violation des lois. Le régime légal est donc interrompu : celui de la force est commencé... L'obéissance cesse d'être un devoir... y affirme Adolphe Thiers, alors jeune journaliste. Le reste de l'article est un véritable réquisitoire contre les excès du pouvoir. Evidemment, la réaction ne se fait pas attendre : dès parution, l'imprimerie du National et celle du Temps sont envahies par la police et les presses placées sous saisie lorsqu'elles ne sont pas mises hors d'usage. Des attroupements se forment aux abords des journaux investis par les forces de l'ordre. Bientôt, la garde à cheval éprouve des difficultés à les contenir. L'émeute éclate aux abords du Palais Royal. Il s'agit de disperser les manifestants, sabre au fourreau mais le ton monte. Des coups de feu éclatent, des hommes tombent. La foule s’empare de l'Imprimerie Royale. Des casernes sont incendiées. A quatre heures de l'après midi, l'état de siège est proclamé mais on ne veut rien dramatiser et la troupe regagne ses quartiers. On reste calme, du moins en apparence, à Saint-Cloud où Charles X fait sa partie de bridge habituelle ou plutôt de whist comme on appelle alors ce jeu de cartes. 

Tandis que Saint-Cloud s'endort, on abat à Paris d'autres cartes, on prévoit d'autres mises qui feront, le jour venu, échec au roi. Pour la première fois, la haute bourgeoisie de la finance et de l'industrie qui, par les ordonnances de Charles X, se voit éliminée de la vie politique, se joint au peuple de la rue mais l’illusion de cette impossible fraternité sera de courte durée. La République est à portée de main mais une fois chassé Charles X, la bourgeoisie parisienne se contente de changer de roi tandis que la Presse, dont Le National, sous la plume de Thiers, soutenu par le vieux La Fayette, fait campagne pour le duc d'Orléans, chef de la branche cadette des Bourbons, fils de Philippe Egalité et qui deviendra Louis-Philippe 1er.

La Liberté guidant le peuple

L'espoir du peuple de proclamer la république est anéanti mais de son parcours politique avec la bourgeoisie qui l'a trompé à son unique profit, il en tirera tous les enseignements. Jamais plus, ouvriers et bourgeois ne parleront le même langage.
Les journées des 27, 28 et 29 juillet 1830 deviendront pour l’Histoire, les Trois Glorieuses.

Les Parisiens ont chassé Charles X qui trouvera refuge en Angleterre puis en Autriche. Piètre résultat des barricades et de tout le sang versé – les chiffres, très incertains, évoquent plusieurs centaines de victimes – , la Révolution va accoucher de la Monarchie de Juillet qui, certes, rétablira le drapeau tricolore... 

Maigre consolation que nous rappelle le tableau d’Eugène Delacroix : La liberté guidant le peuple. Place de la Bastille, la Colonne de Juillet commémore ce même événement survenu il y a tout juste 180 ans. 

Gérard Conreur pour France Culture, 27 juillet 2010

vendredi 9 juillet 2010

Le beffroi de Lille ouvert au public

Bienvenue chez les Ch’tis. Non, il ne sera pas question de Fricadelle, de tartines de maroilles trempées dans le café noir, des guichets de la Poste de Bergues où se déroule l’action du film. Le seul lien que l’on puisse établir ici, serait le beffroi de cette ville. Celui de Bergues n’est pas le plus haut de la région Nord-Pas de Calais mais pourtant la grimpette essouffle son homme, son escalier en colimaçon vous donne, en prime, le tournis et le peu que parvenu là-haut, il soit l’heure pile d’un air de carillon, vous voilà sourd pour un moment.

Le Beffroi de Lille © Gérard Conreur
Le beffroi de Lille - © Gérard Conreur

Pour monter encore plus haut, deux fois plus haut, il faut prendre la direction de la capitale des FlandresLille dont le beffroi culmine à 104 mètres mais jusqu’alors pas de précipitation, il n’était pas très simple de prévoir une ascension. Mission presque impossible disaient les mauvaises langues. Il fallait constituer un groupe, se rendre à l’Office du tourisme pour des visites en nombre limité. De plus, souligne-t-on à la Mairie de Lille, le site n’était pas suffisamment sécurisé pour l’accueil du public, etc. Bref, rien de très pratique, ni de très logique pour les visiteurs qui se trouvant fréquemment bouché bée devant les portes closes au pied du beffroi, renonçaient à leur projet.

Pourtant depuis 2005, 23 beffrois de la région dont celui de Lille sont  inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO et l’année suivante, l’édifice lillois, le plus haut beffroi d’Europe du Nord, avait fait l’objet de travaux de rénovation.

Les choses ont changé tout récemment et cela valait bien la peine de le souligner. On a pensé aux touristes mais aussi aux gens du Nord et aux Lillois en particulier qui enfin pourront découvrir leur ville de plus haut. La mairie de Lille et l’Office de Tourisme ont bien fait les choses. Du personnel a été recruté pour accompagner le public. Au programme : cent marches à gravir mais avec des paliers avant de parvenir à la billetterie où les visiteurs se voient remettre un audio guide en plusieurs langues et une paire de jumelles. Ensuite plus de trois cents marches à grimper. Non, je plaisante car un ascenseur les attend. Là-haut deux plateformes d’observation l’une vitrée à 68,55 m, l’autre à 72,55 m pour apprécier toute la vigueur du vent du Nord et pour un panorama à 360° sur les Monts des Flandres ou les terrils du Pas de Calais. Soit, par beau temps, trente kilomètres à la ronde. Les trois cents marches ne sont là que pour les sportifs ou ceux qui veulent descendre librement en y prenant le temps.

La construction

Pour le reste, le beffroi de Lille, c’est toute une histoire. En 1916, un incendie dévaste l’Hôtel de Ville jouxtant le Palais Rihour bâti en 1453 sous le règne de Philippe le Bon. Pour l’édification du nouvel hôtel de ville, le quartier populaire de Saint-Sauveur qui a beaucoup souffert des bombardements de la Première Guerre mondiale est choisi. Le projet retenu est celui très audacieux de l’architecte Emile Dubuisson. Le maire de Lille est alors Roger Salengro qui sera ministre de l’Intérieur à l’époque du Front populaire. La construction de l’hôtel de ville .se déroule de 1924 à 1932 et de 1929 à 1931 pour le beffroi.

 C’est la première fois que la technique du béton armé est utilisée pour un bâtiment de cette hauteur. On va donc construire un ascenseur au centre du beffroi pour acheminer les hommes et les matériaux de construction. L’ascenseur grimpera donc au fur et à mesure de l’édification du beffroi au rythme de 4,10 mètres d’altitude par mois. A la base du beffroi, deux personnages sont sculptés, les géants fondateurs de la ville, Lydéric et Phinaert.

Les beffrois dans le Nord de la France symbolisaient l’affirmation des libertés communales, la fierté de la ville et sa prospérité. A l’origine, ils permettaient le guet et de prévenir l’envahisseur ou toute menace comme les incendies par exemple. Ils donnaient l’heure sans connotation religieuse – contrairement aux églises sonnant l’Angélus - visuellement grâce à l’horloge mais aussi à l’aide de quelques notes de carillon. Il existe un autre beffroi à Lille, celui de la Chambre de Commerce et d’Industrie, non loin de la Grand Place, mais qui lui, ne peut être visité. Il égrène par contre régulièrement quelques notes de l’Hymne à la joie et parfois aussi le p’tit Quinquin.

La Chambre de Commerce et d'Industrie de Lille  ©Gérard Conreur
La CCI de Lille © Gérard Conreur

Côté pratique :

Venant du sud, on monte dans le Nord. Alors pourquoi ne pas prendre plus de hauteur encore en escaladant le beffroi ?

Il est ouvert toute l’année du mardi au dimanche, de 10h à 13h et de 14h à 18h (17h de novembre à mars) ainsi que les jours fériés sauf 1er janvier, 1er mai et 25 décembre. Tarif plein : 6€ / tarif réduit : 4€ (moins de 18 ans, étudiants, demandeurs d'emploi, allocataires du RSA, détenteurs du Pass Senior et du City Pass Lille Métropole, groupes à partir de 4 personnes). Gratuit pour tous les 1er et 3ème mercredis de chaque mois.
L'entrée comprend le prêt un  audio-guide en français, anglais, allemand et néerlandais et d'une paire de jumelles.

Attention : en raison de la préparation de la Grande Braderie, le beffroi est fermé du 24 août au 6 septembre inclus.

En savoir plus ? Deux sites à découvrir Site officiel de l’office de Tourisme et Lilletourism.


Gérard Conreur pour France Culture, 9 juillet 2010

mardi 6 juillet 2010

A l'heure du Bac 2010, les vertes années du Certif...



Le Certificat d’Etudes Primaires, le Certif pour ceux qui l’ont connu, c’était une série d’images qui nous faisait entrer dans la cour de récré d’une École communale avec son préau et ses deux ou trois platanes dont les première feuilles mortes tapissant le sol sonnaient l’heure de la rentrée et la fin de l’été. Ces fameuses feuilles d’automne emportées par le vent...  Murmures de la récitation en chœur des tables de multiplication. Sur les murs de la classe, entourant le tableau noir, la carte de France avec son bassin parisien, son massif central, son golfe du lion, ses grands fleuves, l’énigmatique Mont Gerbier des Joncs, ses fascinants Puy de Sancy et Plomb du Cantal... Sur une autre planche, les mesures du système métrique avec ses poids et ses mesures joliment illustrés. Il y avait aussi la coupe d’une fleur avec son pistil, ses pétales curieusement masculins, ses étamines définitivement féminines. D’autres images encore... Une abeille en écorché ou une grenouille. Inoubliables leçons de chose ou de morale. La date à la craie et cette encre violette qui faisait des pâtés à cinq carreaux de la marge. 

Ecole de la République - Vely ©Fotolia.com


C’est en 1866 dans la France du Second Empire et sous l’impulsion de Victor Duruy, ministre de l’instruction publique, que naît le Certificat d’Etudes Primaires. Quelques années plus tard, entre 1880 et 1882, changement de régime - nous sommes alors sous la III° République -, Jules Ferry rend l’école respectivement laïque, gratuite et obligatoire. Il est confié à l’instituteur le soin d’enseigner la lecture et l’écriture mais aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. C’est le temps des Hussards noirs de la République. Être instituteur ce n’est pas choisir une profession comme une autre mais bien plus s’engager dans un véritable sacerdoce. L’instituteur est un notable d’un nouveau genre, ni maire, ni notaire, ni aristo. Dans une France résolument catholique, il ne fréquente pas l’église et explique la création du monde par la mécanique céleste. Fervent républicain, souvent très seul, il n’attend rien de personne. Il n’est pas rare qu’il paie sur son modeste traitement  l’équipement pédagogique de sa classe. C’est un moraliste né, il refuse l’apéritif parce que l’alcool ruine l’honnête travailleur et plonge sa famille dans la misère. L’eau est pour lui la plus hygiénique des boissons et la plus économique aussi. Dans les villages, Monsieur le Curé et Monsieur l’Instituteur font rarement bon ménage. Les souvenirs de Marcel Pagnol, enfant, - son père était lui-même instituteur – même largement romancés nous laissent de cette époque du début du XX° siècle un témoignage tendre et drôle.
Le but que se fixe l’instituteur des campagnes mais aussi des villes, son idée fixe : présenter tous ses enfants sans exception à l’examen du redouté et prestigieux Certificat d’Études Primaires. Il ne faut pas qu’il y ait le moindre échec.

La carte de France et Marianne
Symboles de la Classe, la carte de France et Marianne
Le précieux diplôme que l’on apparentera bien à tort à un baccalauréat du pauvre sanctionne la fin des études comme le souligne un texte de 1882 : Il est institué un certificat d'études primaires ; il est décerné après un examen public auquel pourront se présenter les enfants dès l'âge de onze ans. Ceux qui, à partir de cet âge, auront obtenu le certificat d'études primaires, seront dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur restait à passer. Et ils pourront donc entrer dans la vie active. C’est la raison d’être du Certificat d’Études Primaires à tel point que par la suite deux années supplémentaires après celles du cours moyen seront nécessaires pour tous ceux qui n’entrant pas dans le Secondaire souhaitent être présentés à l’examen. Le Certificat d’Études n’est donc en aucun cas un sous-diplôme.

En 1936, le Front populaire qui va rendre la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans ne va pas modifier le statut du C.E.P.  Après la guerre, l’Éducation nationale confirme la vocation du Certificat d’Études à déboucher directement sur le monde du travail même si les classes de fins d’études déclinent inexorablement. La reconstruction puis les Trente glorieuses qui nécessitent une main d’œuvre abondante souvent peu qualifiée marqueront les dernières heures de gloire de ce diplôme progressivement discrédité par le monde enseignant selon lequel sont dirigés vers le C.E.P. tous ceux qui n’aiment pas l’école. En réalité, après le Certif, les scolaires les plus prévoyants optent pour l’entrée en apprentissage ou une formation professionnelle vers un CAP préparé en deux ou trois ans. Lorsque la crise va s’étendre et avec elle le chômage, la seule parade ne sera pas de rendre l’orientation professionnelle plus performante, l’une des faiblesses endémiques de notre système éducatif, mais d’allonger la scolarité sans la mettre véritablement en phase avec les défis du monde actuel. Il s’agit de caser des contingents pour les mettre à l’abri du chômage sans les armer à y faire face.

Le Certificat d'Etudes Primaires est supprimé par décret - et dans l'indifférence générale - au cours de l'été 1989 alors que la France célèbre le bicentenaire de la Révolution.

La Belle Époque du Certificat d’Etudes

Le Certificat d’Études Primaires, premier diplôme exigé pour la titularisation dans les administrations, doit attester que son "impétrant" possède "ce qu'il n'est pas permis d'ignorer", en lecture, écriture, calcul, sciences, mais aussi vie pratique. Les candidats reçus à l’examen sont 14,8% en 1882, ils seront 35% en 1907. Exemples d’épreuves écrites à l’examen de 1900 : Problèmes : Un ouvrier dépense 52,50 F par mois pour sa nourriture, 14 F par mois pour son entretien, 72 F par an pour frais divers. Il place 108 F par semestre à la Caisse d'Épargne. Combien gagne-t-il annuellement ? Dans combien d'années pourra-t-il acheter, avec ses économies, une maison estimée 2 052 F ? Rédaction : Quelques jours avant la révision, un jeune conscrit s'est mutilé volontairement. Dans une lettre à un ami, racontez le fait et votre indignation inspirée par une telle faute.  Épreuves orales : analyse grammaticale : « Le petit agneau suit de loin sa mère, et court au devant d’elle ». Citez une locution adverbiale, une locution prépositive. Quelle est la nature des propositions de cette phrase ? Épreuves d’arithmétique et de système métrique (on veut ainsi lutter contre les vieux réflexes à parler en livre ou en once). Histoire : Pendant la funeste guerre de 70, quelle victoire importante remporte l'armée de la Loire ? Qu'est-ce qui l'empêche de marcher sur Paris et peut-être de sauver la France ? Si le gouvernement de Défense nationale n'a pu sauver la patrie, qu'a-t-il au moins sauvegardé ? Suivent la Géographie, Leçons de choses, selon les régions : agriculture et horticulture. Morale : Que faut-il faire pour remplir vos devoirs envers votre âme ? (ne pas oublier la laïcité et l’anticléricalisme de l’époque). Instruction civique et droit usuel : Quels sont les cultes reconnus et subventionnés par l'État ? Qu'est-ce qu'un vice rédhibitoire ? (idem que la question précédente). Suivent ensuite une épreuve de Chant, une autre de gymnastique et pour les filles, d’économie domestique avec des questions du style : Où est la place de la bonne ménagère ? En quoi bavardages et cancans sont-ils nuisibles ? ou encore : Comment se fait la lessive à la cendre ? Parlez des lessiveuses économiques.

Gérard Conreur pour France Culture 6 juillet 2010