L’été est meurtrier pour le cinéma français, après Bernard Giraudeau et Philippe Avron, on a appris la mort de Bruno Cremer samedi, à l’âge de 80 ans et des suites d’un cancer. La première pensée qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque ce comédien, c’est le rôle qu’il endossa durant près d’une quinzaine d’années, celui du Commissaire Maigret. 54 fois, il fut Maigret chez les Flamands, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Maigret tend un piège et autre Maigret et l’étoile du nord, son ultime enquête en 2005 car si le personnage est bien là, ce n’est plus la voix de Bruno Cremer, qui atteint d’un cancer de la gorge, est doublé par un autre comédien. Aussi décide-t-il d’arrêter sa carrière.
Reste que Cremer fut un Maigret au dessus de tout soupçon. Sans doute le plus fidèle à l’esprit de Simenon. Réservé, discret, ne se fiant jamais aux apparences, un Maigret de l’intérieur, personnage insolite qui hante ces petits bistro-épiceries générales de nos provinces perdues que personne ne fréquente jamais sauf quelques mariniers tuant le temps le long de canaux tristes. Maigret qui se régalait d’un blanc sec le matin, d’une blanquette de veau en plat du jour et d’un cognac étoilé lorsque la nuit tombait.
Alors évidemment Bruno Cremer, c’est Jules Maigret mais revenons au comédien et laissons le personnage. On pourrait citer bien plus qu’une série télé. Bruno Cremer connaît une véritable consécration au cinéma dans la 317ème section de Pierre Schoendoerffer en 1965 aux côtés de Jacques Perrin. L’action se déroule en 1954 en pleine guerre d’Indochine, l’autre nom du Vietnam quand les Français s’y engluaient. C’est une histoire d’hommes, de militaires, de baroud un peu désespéré qui traversant marécages infestés et jungle hostile conduit droit à un sacrifice inutile. Bruno Cremer y incarne l’adjudant Willsdorff, un juteux qui après avoir fait ses premières armes contre les nazis, s’est exporté vers Saïgon, histoire de voir du pays sans perdre la main.
Dans la bande du film, car c’est une bande de copains, outre Perrin et Cremer, le producteur Georges de Beauregard et à la photo, Raoul Coutard, toujours à ronchonner quand la lumière ne lui plaît pas. Cremer, fidèle, aura l’occasion de retrouver ses copains : Objectif 500 millions en 1966, La Légion saute sur Kolwezi (Raoul Coutard), Là-haut, un roi au-dessus des nuages.
Ces films vont donner de Bruno Cremer, l’image d’un baroudeur, d’une force de la nature à la carrure imposante et à la poigne d’acier. Pourtant, dans la vie, il était tout le contraire, pudique, réservé, aimable, toujours souriant. Il sera le colonel Rol-Tanguy pour Paris brûle-t-il ? Jules Bonnot dans le film de Philippe Fourastié de 1968 où il croise Jacques Brel, alias Raymond la science. En 1989, il devient prof de philo dont le destin va croiser celui d’une étudiante un peu paumée que joue Vanessa Paradis dans le film Noce Blanche de Jean-Claude Brisseau. Le film fait 2 millions d’entrées, il consacre Vanessa Paradis dont c’était le premier rôle à l’écran. Bruno Cremer y est magistral.
La silhouette de Bruno Cremer a traversé un demi-siècle de cinéma français et y laisse une empreinte durable. On l'a vu devant les caméras de René Clément, Costa Gavras, Patrice Chéreau, Yves Boisset, José Giovanni, François Ozon, etc. La liste est longue, le personnage ne fait pas dans la bluette, les films sont souvent engagés. Et c’est avec Pierre Schoendoerffer en 2003, que Bruno Cremer tournera son dernier film La-haut, un roi au dessus des nuages en 2004. Ainsi la boucle est bouclée. Comme pour la 317ème Section, l’action se déroule, là-bas, très loin dans le sud-est asiatique, au soleil cuisant et aux averses tropicales. Il y est question du baroud et de guerres oubliées...
Gérard Conreur pour France Culture, 9 août 2010