lundi 9 août 2010

Le dernier baroud de Bruno Cremer





L’été est meurtrier pour le cinéma français, après Bernard Giraudeau et Philippe Avron, on a appris la mort de Bruno Cremer samedi, à l’âge de 80 ans et des suites d’un cancer. La première pensée qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque ce comédien, c’est le rôle qu’il endossa durant près d’une quinzaine d’années, celui du Commissaire Maigret. 54 fois, il fut Maigret chez les Flamands, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Maigret tend un piège et autre Maigret et l’étoile du nord, son ultime enquête en 2005 car si le personnage est bien là, ce n’est plus la voix de Bruno Cremer, qui atteint d’un cancer de la gorge, est doublé par un autre comédien. Aussi décide-t-il d’arrêter sa carrière. 

Reste que Cremer fut un Maigret au dessus de tout soupçon. Sans doute le plus fidèle à l’esprit de Simenon. Réservé, discret, ne se fiant jamais aux apparences, un Maigret de l’intérieur, personnage insolite qui hante ces petits bistro-épiceries générales de nos provinces perdues que personne ne fréquente jamais sauf quelques mariniers tuant le temps le long de canaux tristes. Maigret qui se régalait d’un blanc sec le matin, d’une blanquette de veau en plat du jour et d’un cognac étoilé lorsque la nuit tombait. 

Alors évidemment Bruno Cremer, c’est Jules Maigret mais revenons au comédien et laissons le personnage. On pourrait citer bien plus qu’une série télé. Bruno Cremer connaît une véritable consécration au cinéma dans la 317ème section de Pierre Schoendoerffer en 1965 aux côtés de Jacques Perrin. L’action se déroule en 1954 en pleine guerre d’Indochine, l’autre nom du Vietnam quand les Français s’y engluaient. C’est une histoire d’hommes, de militaires, de baroud un peu désespéré qui traversant marécages infestés et jungle hostile conduit droit à un sacrifice inutile. Bruno Cremer y incarne l’adjudant Willsdorff, un juteux qui après avoir fait ses premières armes contre les nazis, s’est exporté vers Saïgon, histoire de voir du pays sans perdre la main. 

Dans la bande du film, car c’est une bande de copains, outre Perrin et Cremer, le producteur Georges de Beauregard et à la photo, Raoul Coutard, toujours à ronchonner quand la lumière ne lui plaît pas. Cremer, fidèle, aura l’occasion de retrouver ses copains : Objectif 500 millions en 1966, La Légion saute sur Kolwezi (Raoul Coutard), Là-haut, un roi au-dessus des nuages.

Ces films vont donner de Bruno Cremer, l’image d’un baroudeur, d’une force de la nature à la carrure imposante et à la poigne d’acier. Pourtant, dans la vie, il était tout le contraire, pudique, réservé, aimable, toujours souriant. Il sera le colonel Rol-Tanguy pour Paris brûle-t-il ? Jules Bonnot dans le film de Philippe Fourastié de 1968 où il croise Jacques Brel, alias Raymond la science. En 1989, il devient prof de philo dont le destin va croiser celui d’une étudiante un peu paumée que joue Vanessa Paradis dans le film Noce Blanche de Jean-Claude Brisseau. Le film fait 2 millions d’entrées, il consacre Vanessa Paradis dont c’était le premier rôle à l’écran. Bruno Cremer y est magistral. 

La silhouette de Bruno Cremer a traversé un demi-siècle de cinéma français et y laisse une empreinte durable. On l'a vu devant les caméras de René Clément, Costa Gavras, Patrice Chéreau, Yves Boisset, José Giovanni, François Ozon, etc. La liste est longue, le personnage ne fait pas dans la bluette, les films sont souvent engagés. Et c’est avec Pierre Schoendoerffer en 2003, que Bruno Cremer tournera son dernier film La-haut, un roi au dessus des nuages en 2004. Ainsi la boucle est bouclée. Comme pour la 317ème Section, l’action se déroule, là-bas, très loin dans le sud-est asiatique, au soleil cuisant et aux averses tropicales. Il y est question du baroud et de guerres oubliées...

Gérard Conreur pour France Culture, 9 août 2010

vendredi 6 août 2010

6 août 1945 : le dernier matin d'Hiroshima

6 août 1945 : il fait beau sur Hiroshima, le temps est clair, l'atmosphère vivifiante et tonique et pour un peu on pourrait se croire dans une ville tranquille et active du Japon traditionnel d'avant-guerre.

En fait, la ville n'a jamais été réellement menacée par les bombardements de ces années de guerre au point que les habitants d'Hiroshima ne lèvent même plus les yeux vers le ciel lorsque les B-29 américains zèbrent le ciel pour aller bombarder d'autres villes jugées sans doute plus stratégiques ou plus importantes. La ville qui compte un demi million d'habitants, compte tenu du stationnement permanent d'une importante garnison militaire, est située bien loin de Tokyo, trop loin peut-être pour présenter un grand intérêt aux yeux de l'Etat Major américain.

Le dernier matin


Pourtant, cette fois, peu après 7h les sirènes se mettent à hurler à l'approche d'un B-29 dont on apprendra plus tard qu'il était en mission d'observation météo. Fin d'alerte une demie heure plus tard. Peu après 8h, une autre forteresse volante fera son apparition dans le ciel d'Hiroshima mais personne ne pourra observer ce petit point noir qui s'est détaché du B-29 tandis que l'appareil amorce aussitôt une fulgurante manœuvre de repli.

Cinquante-trois secondes après son largage de l'Enola Gay, la première bombe atomique, baptisée Little Boy explose à près de 600 mètres au dessus d'Hiroshima. A l'éclair nucléaire, suivra le sinistre champignon qui s'élèvera à plus de 10 000 mètres d'altitude dans un grondement de fin du monde.

Hiroshima vient de vivre son dernier matin. La ville toute entière a disparu. Il est un peu plus de 8h15.

L'enfer et le hasard

Little boy, la bombe qui détruisit Hiroshima le 6 août 1945 à 8h15, représentait une puissance d'environ 15 kilotonnes de TNT. Ce qui est faible en comparaison aux charges nucléaires modernes qui peuvent dégager une énergie exprimée, cette fois, en mégatonnes de TNT. Pourtant, 100 000 personnes périssent instantanément à Hiroshima à l'instant de l'explosion. 100 000 autres disparaîtront dans les cinq années qui suivront, des suites de leurs brûlures, de leurs blessures ou par suite d'irradiations. Aujourd'hui, soixante-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et malgré que le sujet soit tabou, on meurt toujours au Japon de la lèpre nucléaire...

Les bombes qui furent larguées sur Hiroshima et Nagasaki étaient sensiblement différentes l'une de l'autre. La première fut baptisée Little boy (P'tit gars) en raison de sa petite taille et malgré le fait que l'engin pesait tout de même quatre tonnes. Les militaires américains choisirent de la faire exploser à près de 600 mètres d'altitude au dessus d'Hiroshima afin d'en optimiser les effets destructeurs. C'était une bombe A à uranium enrichi et reposant sur le principe de la fission par opposition aux bombes H ou bombes à hydrogène de fusion nucléaire, plus connues encore sous le nom de bombes thermonucléaires.

Fat man (Gros mec) était également une bombe A mais au plutonium cette fois et d'une puissance équivalente à 22 kilotonnes de TNT. Elle aussi explosera à plusieurs centaines de mètres du sol. Les stratèges américains veulent être sûrs que l'explosion délivrera ainsi sa puissance maximale. En effet, en raison du caractère secret du projet Manhattan, des tests réels n'ont pu être menés. Fat man va tuer 40 000 personnes. Une déception pour l'équipage du bombardier et qui pose une autre question : pourquoi la ville de Nagasaki fut-elle choisie ?

Trois jours après le succès d'Hiroshima, le président Truman donne l'ordre de larguer une seconde bombe atomique sur le Japon. La cible visée est la ville de Kokura aujourd'hui Kitakyushu sur l'île de Kyushu à l'extrême sud-ouest du Japon. Mais les B-29 qui vont participer à cette seconde mission qui n'a plus le panache, ni l'étoffe de pionnier de l'Enola Gay vont essuyer une série de déboires invraisemblables.

le B29

Ce jour-là, le ciel est plombé. La couverture nuageuse épaisse n'autorise pas la moindre visibilité. De plus, les bombardiers américains sont ballotés comme des fétus de paille au milieu d'une véritable tempête qui malmène appareils et équipages. Et puis survient une panne de radio. Impossible de revenir à la base de Tinian dans le Pacifique avec Fat man à bord, une bombe atomique de plusieurs tonnes dans la soute et qui, de surcroît, est armée. Le temps perdu en manoeuvres de vol et en recherches de la cible ont consommé trop de kérosène : il faut larguer coûte que coûte Fat man pour alléger l'appareil avant que le B-29 lui-même ne s'écrase en mer. 

Brusquement sur le chemin du retour, un trou dans les nuages laisse apparaître des routes, les premiers bâtiments, bientôt une cité toute entière. Durant quelques instants, l'équipage se concerte et arrête une décision unanime. 

A Nagasaki, il est exactement 11h01.

Gérard Conreur pour France Culture, 6 août 2010