mardi 30 novembre 2010

John Lennon : l'étrange cas du Dakota Building

Depuis la terrasse du GE Building du Rockefeller Center, au 70ème étage, on distingue à peine, sur la gauche, les toits verdâtres du Dakota Building sur le coin de la 72ème rue et de Central Park West. Le Dakota reste l’un des immeubles les plus surprenants de Manhattan. Quand il fut construit en 1880, rien ne pouvait rivaliser avec son arrogance néobaroque vampiro-gothique car il n’y avait rien autour. C’était un peu comme un casino pour vieilles dames sur le littoral belge en plein hiver. On ne pouvait y attendre rien d’autre que la fin du monde.

Le Dakota Bldg en 1880 ©Wikipedia

L’avenue était vierge de tout bâtiment, les larges trottoirs vierges de tout promeneur, la chaussée vierge de toute …diligence. Le Dakota était déjà sinistre, prestigieux certes avec son chauffage central mais sinistre. Tchaikovsky venu à l’occasion de l’inauguration du Carnegie Hall y passa quelques nuits. Boris Karloff non pas un autre Russe mais un acteur tout ce qu’il y a de plus british fut un des premiers locataires du Dakota. En vérité il s’appelait William H. Pratt et était le petit-neveu de la gouvernante des enfants du roi du Siam. Mais si, vous savez bien : Anna et le roi. Faut-il rappeler qu’à l’écran, dans les années trente, William H. Pratt ou plutôt Boris Karloff avait prêté ses traits à Frankenstein qui les conserva pour la postérité…

Boris Karloff ©DR
Boris karloff
D’autres célébrités habitèrent le Dakota building : le compositeur et chef d’orchestre Léonard Bernstein notamment. Certaines scènes de West Side Story ont d’ailleurs été tournées là où se trouve désormais le Lincoln Center et donc à quelques blocs du Dakota Bldg. Le quartier a subi un sérieux lifting depuis les années soixante. Peut-être est-ce le fameux terrain de basket du film qui se trouvait là...A moins que ce soit le drugstore de Doc où Tony empilait des caisses de Coca.




Les acteurs Jack Palance et Jason Robards ont vécu eux aussi dans cet immeuble, ainsi que Lauren Bacall ou encore Judy Garland. Enfin, Robert Ryan y possédait un appartement qu’il louait au couple John Lennon-Yoko Ono. L’ex-beatle en fera l’acquisition après la mort de l’acteur en 1973.

Enfin, Roman Polanski choisira le Dakota Building pour décor de son film Rosemary’s baby (1968) même si l’appartement des Woodhouse fut bâti aux Studios Paramount de Los Angeles. Autre film dont le Dakota servit de décor : Vanilla Sky de Cameron Crowe et co-produit par Tom Cruise en 2001.



Le Dakota Building de nos jours ©Gérard Conreur

A lire : 8 décembre 1980, un dernier rendez-vous


Gérard Conreur pour France Culture, 30 novembre 2010


John Lennon : 8 décembre 1980, un dernier rendez-vous

Après une soirée de travail en studio sur son dernier album Double Fantasy qui doit relancer la carrière de l’ex-Beatle après cinq années de silence, John Lennon regagne son appartement. Yoko Ono le précède de quelques pas. Alors qu’il s’apprête à franchir le porche du Dakota Building de New York, il est abattu de cinq balles de revolver de calibre 38 sous les yeux de Yoko Ono. Un quart d’heure plus tard, le Roosevelt Hospital, un peu plus bas dans le West Side, où John Lennon a été transféré d’urgence annonce à 23h07 la mort du chanteur. Nous sommes le 8 décembre 1980.


Imagine, la partition ©Music Sales
John Lennon avait 40 ans. On ne comprend pas cet assassinat et d’ailleurs qui est donc ce Mark David Chapman, ce jeune texan un peu bouffi ? Agé de 25 ans, il ne fait pas vraiment partie de la génération des Beatles. Pourtant, il est fan du groupe au-delà du raisonnable au point que chez lui cela tourne à l’obsession. Et puis, dans son admiration sans borne pour Lennon, en particulier, il y a un « mais… », une tache. Une idole ne peut pas, selon lui, se permettre le moindre écart. Alors, en vrac et dans l’esprit fragile de Chapman, des sévères reproches se tapissent dans l’ombre de quelques neurones atrophiées : Chapman vivote dans la grisaille du quotidien et il comprend mal le message, pour ne pas dire l’évangile, qu’il prête à Lennon, la paix, la fraternité, un monde meilleur, uni dans lequel chacun aura sa place, comme dans la chanson Imagine : I hope some day you’ll join us, And the world will be as one. Pour Chapman, la réalité lui apparaît bien différente : en quoi Lennon a-t-il changé le monde ? Il est bourré de pognon mais ce n’est pas les pauvres qui en profitent.

Lorsque les policiers vont entendre Chapman plus longuement, il finira par leur avouer qu’au fond, tuer Lennon allait le rendre célèbre et que c’était surtout ça qu’il recherchait. Pourquoi Lennon ? Parce qu’il était le plus accessible et donc cela ne représentait pas de grosses difficultés. Sur lui, on trouvera une bible et sachant qu’il est originaire du Texas, on se souviendra que les Beatles avaient été mis à l’index par des communautés religieuses américaines pour blasphème après une phrase un peu stupide de John Lennon affirmant que les Beatles étaient plus connus, plus populaires que Jesus Christ. C’était le 5 août 1966. Le Vatican a mis longtemps avant de pardonner John Lennon dont la phrase n’avait pas soulevé le moindre tollé en Europe. Par contre, il n’en fut pas de même aux Etats-Unis : autodafé de disques et de tous documents ayant trait aux Beatles, sermons vengeurs, menaces haineuses proférées à l’encontre du groupe anglais, à tel point qu’il dut renoncer à ses projets de tournées outre atlantique.

On sait aussi que lorsqu’il choisira de vivre aux States, dans l’Amérique de Nixon et du Vietnam, John Lennon aura continuellement le FBI et la CIA sur le dos et des tracas avec les services de l’Immigration. Ses faits et gestes sont consignés depuis qu’il a pris la défense de John Sinclair, activiste underground condamné à dix ans de prison pour avoir offert deux joints à un policier chargé de le faire tomber. Voir le film The U.S. vs. John Lennon.

La nouvelle de la mort de Lennon va tétaniser le monde entier. C’est la consternation. Et puis très vite, une réaction qui peut paraître incongrue va se détacher nettement. Des millions de fans dans le monde voient d’un coup, un rêve un peu fou éclater comme une bulle de savon. Jamais plus les quatre de Liverpool ne se réuniront sur scène, jamais plus ils ne se retrouveront. La mort de John est monstrueusement passée par là et fait le deuil de toute une époque, de toute une génération.
Et puis, une malédiction ne va-t-elle pas poursuivre les Beatles ? George Harrison, affaibli par un premier cancer, est victime d’une tentative d’assassinat, chez lui, par un déséquilibré mental, l’avant-veille du 1er janvier 2000, pratiquement vingt ans après la disparition de John Lennon. Il est sauvé in extremis malgré plusieurs coups de poignard dans la poitrine. Mais la maladie gagnera la partie et emportera l’auteur de My Sweet Lord le 30 novembre 2001.

I really want to see you…

Si Mark David Chapman, l’assassin de Lennon a été arrêté et condamné à la prison à perpétuité, les raisons de son acte n’ont jamais été clairement élucidées. Par ailleurs, les Beatles ont toujours joué avec la mort. Des canulars de potaches, des messages sybillins apparaissent dans certaines de leurs compositions, sur des pochettes de disques, des photos. On affirme ainsi que Paul McCartney serait mort en 1966 dans un accident de voiture et remplacé par un sosie. La rumeur est lancée à l’époque d’Abbey Road trois ans plus tard en 1969 et booste les ventes de l’album. McCartney souvent considéré comme le businessman du groupe ne fera donc rien pour démentir cette rumeur noire.
Toujours dans l’album Abbey Road, dans le titre Come together, John Lennon insiste dans un morbide qui va devenir prémonitoire :

Shoot me, shoot me, shoot me...  

Un jour viendra où quelqu’un entendra son appel.

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Gérard Conreur pour France Culture, 30 novembre 2010