Jules Verne a vécu l’une
des époques les plus fécondes de notre temps, entre romantisme et modernité. Une époque marquée par le progrès
et bercée par le scientisme. Né sous la Restauration, il a connu deux
républiques : celle de 48 et la très longue III° République, et un empire, le
Second, celui de Napoléon III. Il a connu aussi la Guerre de 1870, le siège et
la Commune de Paris. Mais il a vu aussi et surtout la révolution industrielle
modifier la face du monde. Retour sur ce qui a vraiment changé à
son époque.
Jules Verne
Jules Verne est né dans un
monde où l’on se déplaçait peu et mal, à la rigueur en voiture à cheval, fiacre
ou diligence. A cette époque, il fallait une douzaine d’heures pour aller de
Paris à Rouen. 12 heures pour
faire environ 130 km sur terrain plat sans obstacle majeur. La France était dépourvue de réseau ferré dont on ne
voyait pas l’utilité. De plus, certains érudits affirmaient que l’organisme
humain ne supporterait pas une vitesse de l’ordre de 50 km/heure. A cette
vitesse, les poumons ne pouvant fonctionner normalement, l’asphyxie était
inévitable pour les infortunés voyageurs.
Le chemin de fer apparaît sous Louis-Philippe mais prend son essor sous Napoléon
III. Aventure extrême dont on imagine mal de nos jours les aspects technologiques, économiques et financiers. 1 800 kilomètres de voies ferrées
sont construits en 1847. Il y en aura 18 000 en exploitation, soit dix fois
plus en 1870 !
A Nantes, ville natale de
l’écrivain, le commerce de l’ébène était florissant. La traite des noirs cesse
lorsque Victor Schœlcher, obtient le vote par l’Assemblée nationale du décret
d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises le 27
avril 1848. Jules Verne est
alors âgé de 20 ans. Toujours à Nantes comme dans tous les ports, l’époque voit
apparaître la roue à aubes dont la vapeur constitue la force motrice puis
l’hélice tandis que la coque des navires jusqu'alors en bois devient métallique. Les immenses
progrès de l’architecture navale marqueront le Nantais au point qu’il écrira
Une ville flottante en 1871 où l’action se passe sur le Great Eastern, un fabuleux
géant des mers très en avance sur son temps et qui a réellement existé.
Mais Jules Verne a-t-il été
visionnaire pour 20 000 lieues sous les mers ? Pas vraiment. En
réalité, et sans remonter à Alexandre le Grand et sa cloche sous-marine, l’un
des premiers sous-marins (à coque en bois) est l’œuvre de l’américain Fulton
dont les essais sont menés en France en 1798 mais l’invention restera sans
suite dans notre pays où malgré l’état de guerre avec la Grande Bretagne, on
jugera déloyal ce type de marine de guerre invisible pour l’ennemi. Dernier
détail, Fulton avait baptisé son navire sous-marin : le Nautilus….
A gauche : La grande Sarah Bernhardt
Capturer l'image animée et le son de la voix,
un rêve qu'évoque Jules Verne dans son roman publié en 1892mais écrit trois ans plus tôt : Le Château des Carpathes orà
cette époque cela fait déjà dix ans que Thomas A. Edison a inventé le
phonographe à cylindre. Enfin, l'image animée - la chronophotographie,
notamment - est l'objet de nombreux travaux (Muybridge, Marey, Demenÿ,
etc.) qui
aboutiront en 1895 au cinématographe.
Reste la conquête du ciel.
Les vols en ballon libre sont nombreux à l’époque de Jules Verne. Pas étonnant
donc qu’il s’en inspire. Ainsi durant le siège de Paris lors de la Guerre de
1870, Léon Gambetta quitte la capitale pour Tours mais le transport en ballon
libre est aléatoire et le ballon de Gambetta dérivera à l'opposé, vers la
...Picardie. Alors, le réel progrès ce serait le dirigeable. Le mot
aviation est inventé en 1863 par Gabriel
de La Landelle et on retrouve dans ce milieu de farfelus les noms de Nadar et
de Ponton d'Amécourt, tous deux amis de Jules Verne. Ponton d’Amécourt imagine
que l’aluminium, métal nouveau, léger et révolutionnaire, pourrait entrer dans
la fabrication d'un engin volant fonctionnant à la vapeur et capable même de
faire du sur place : l’hélicoptère.
L'exposition unverselle de 1900
Mais comme le rail sous
Charles X, la conquête de l’air est d’abord une question de mentalité. Des
historiens pensent que le succès de la montgolfière et le recours aux ballons libres
ont freiné toutes les recherches vers l’aviation proprement dite. Cela dit,
lorsque Jules Verne disparaît en 1905, Clément Ader, quinze ans plus tôt, en
1890 nous a fait entrer dans le règne des plus lourds que l’air avec le vol de
l’Eole à …20 centimètres d’altitude sur une distance de 50 mètres.
Quatre vingt
printemps plus tard, - chiffre fétiche pour Jules Verne - premier vol du
Concorde et la même année, en juillet, le rêve de Jules Verne se réalise : des
hommes ont marché sur la Lune...
Gérard Conreur pour France Culture, 21 janvier 2011