vendredi 20 novembre 2009

Raymond Queneau : 50 ans de Zazie dans le métro

Zazie dans le métro, Catherine Demongeot


Je vous vois vernir avec vos Pataugas… L’objet de ce papier n’est pas de nous plonger dans l’œuvre de  Raymond Queneau  dans sa profondeur et sa prolixité mais simplement de dire : « Tiens, Zazie dans le métro. Cinquante ans, déjà…? » Cela suffit à suspendre aux lèvres un sourire plein de tendresse mêlée d’une pointe de nostalgie.  Attentive relecture et véritable récréation… Retour aussi dans l’univers cinématographique très inspiré de Louis Malle avec ce Paris que nous avons laissé lentement mais sûrement disparaître.

Le ballon rouge, Albert Lamorisse (1956)
L’action se passe à Paris en 1959, trois ans après Le ballon rouge, le film d’Albert Lamorisse qui nous emmenait à Ménilmontant. Pourquoi cette précision ? Parce que dans les deux cas, Paris constitue bien plus qu’un décor de film ou de roman, c’est un personnage à part entière. Et s’il est question du film de Louis Malle réalisé un an après la publication du roman de Queneau chez Gallimard, ce personnage devient un témoin privilégié de cette époque-là. Début de la Vème République, vol inaugural de la  Caravelle qui par son élégance et ses performances fait toute la fierté d’Air France. La France est au cœur des Trente-Glorieuses. Les rues de Paris sont envahies de Dauphine, de Simca Aronde. Il reste encore des cohortes bruissantes de 4 chevaux qui virevoltent comme des escadrilles d’abeilles pataudes et là, plus loin, ce gros hanneton ventru c’est la fameuse DS 19 que De Gaulle également ventru, Mon général, met au premier plan de notre industrie automobile nationale. Ce qui surprend aussi en cette année 59 à Paris, c’est cette foule sur les trottoirs qui se croise et se recroise comme une armée de fourmis folles sur un kilo de sucre en morceaux dans des couleurs de néon rouge sur fond de formica bleu, de chrome et de verre. Il y a des cafés sur les boulevards où l’on boit des petits noirs, des blancs cassés, des fines à l’eau en fumant de la Gauldo en avalant des œufs durs à la fraîcheur rétive disposés dans un présentoir bancal de fil de fer sur un zinc en matière plastique. Il y a aussi sur ces mêmes zincs des distributeurs rudimentaires. Pour 20 centimes d’ancien Franc et un vigoureux tour de mollette, une poignée de cacahuètes salées atterrit dans une soucoupe en plastique. Toujours ce fameux plastoc… C’est beau le progrès.

Les 400 coups de Truffaut
Les 400 coups de Truffaut
Les prénoms à la mode cette année-là : Gérard et Philippe tandis que le petit cimetière de  Ramatuelle accueille le grand acteur revêtu pour l’éternité de son costume de Don Rodrigue, le Cid. A quelques pas de là, Saint-Tropez et la Madrague dont Brigitte Bardot a fait l’acquisition l’année précédente. Sur les écrans,  Les 400 Coups , film on ne peut plus autobiographique d’un  jeune réalisateur de 27 ans qui compte bien régler son compte au cinéma de Papa : François Truffaut. Curieusement et là encore, Paris est un personnage remarquable du film. Alors pourquoi, Paris reine du monde et star du cinéma ? Parce que les caméras de la Nouvelle Vague, plus légères, sortent des studios d’Epinay ou de la Victorine et filment la vie – la ville – telle qu’elle est, sans décor, ni artifice. Paris encore au premier plan :  A bout de souffle, Godard, 1960. Et il y a d’autres films de cette époque qui nous baladent dans un Paris qui restera toujours Paris même si de grandes métamorphoses se profilent. Rivette en 1961 : Paris nous appartient.

La grande Annie Fratellini et Antoine Roblot - Images extraites du film
La grande Annie Fratellini et Antoine Roblot - Images extraites du film

Zazie dans le métro, parcours initiatique ou folle course poursuite d’une gamine délurée dont l’unique rêve est de se « voiturer » dans un métro malheureusement en grève ce jour-là ?  C’est selon et chacun y verra midi au clocher de Saint Germain des Près, de Notre Dame ou de Saint-Glinglin, Priez pour nous... Pour que le bonheur soit complet, il fallait à la fois relire les bonnes pages du livre - c'est-à-dire le bouquin dans son intégralité - et revoir non pas les enfants mais le film de Louis Malle, violent poil-à-gratter des mœurs paisibles du temps. Stupéfaction ! Ici, les gens boivent trop, ils fument comme des pompiers et disent de gros mots orduriers à jets continus. Ainsi avant même mai 68, les gens savaient user et abuser sans modération et jouir sans entraves. En plus, ils avaient déjà le gaz et l’électricité.

Zazie dans le métro en Blu-Ray (Arte Editions)
Doukipudonktan !  Gabriel, à la gare d’Austerlitz, guette l’arrivée de sa nièce Zazie Lalochère, une gamine de 10 ans plutôt délurée dont le rêve unique en venant à Paris est de grimper dans le métro malheureusement en grève ce jour-là. Pour ce dernier point, nous sommes, bien sûr, dans une œuvre de fiction. Zazie devra se contenter d’un taxi conduit par Charles, l’ami de Gabriel. Arrivée à destination au café Turandot, elle fera la connaissance d’un petit monde truculent : Mado P’tits Pieds, la serveuse du bistro, la tante Albertine qui pourrait bien se nommer Albert. D’ailleurs, que fait de ses nuits le tonton Gabriel ? Réponse : la danseuse espagnole dans un claque car il n’y a pas de sot métier. Du coup, Zazie se demande s’il ne serait pas un peu homosessuel  ? A défaut de métro, Zazie va découvrir le marché aux puces de Saint-Ouen, la Tour Eiffel, Paris, des lieux improbables mais pourtant si connus et des gens inconnus pourtant si probables. Pour le bien, il faudrait avoir le livre devant les yeux et regarder en même temps le film. C’est possible sans le moindre strabisme et il n’y a d’ailleurs aucun (Louis) Malle à cela…

On ne peut regarder Zazie dans le métro  sans émotion en songeant en premier lieu à  Louis Malle, disparu en 1995. Ensuite, Turandot, le bistrotier n’est autre que  Hubert Deschamps , éternel râleur du cinéma français et oncle de Jérôme Deschamps. Ferdinand Gridoux est incarné par Jacques Dufilho , dont la filmographie-fleuve et pas si tranquille va de 1939 à 2004 : soit 163 films sans oublier le théâtre et la télévision !  Mado P’tits Pieds est jouée par la grande Annie Fratellini, compagne de Pierre Etaix dont nous pouvons enfin revoir les films. Un autre grand comédien disparu, l’Italien Vittorio Caprioli  qui est Trouscaillon. Si ce nom ne vous dit rien, souvenez-vous de ce restaurateur furieux d’avoir perdu une étoile dans le guide Duchemin et qui impose sous la contrainte d’un fusil de chasse à Louis de Funès de consommer une choucroute à pleines mains. Dernier grand acteur de Zazie,  Philippe Noiret, bien sûr, dans le rôle de l’oncle Gabriel. Noiret est alors âgé de 30 ans. Zazie est son sixième film. Le nom de Philippe Noiret à l’époque est surtout lié au Théâtre National Populaire, à Jean Vilar, Gérard Philipe, la très belle aventure du  Festival d’Avignon, celui des origines qui n'intéressait personne. Pour Zazie dans le métro, les scènes jouées par Philippe Noiret notamment lors de la visite de la Tour Eiffel sont à couper le souffle. Noiret a-t-il été doublé ? S'agît-il de trucages, d'effets spéciaux ? Si quelqu'un connaît la réponse, qu'il n'hésite surtout pas à me contacter.
Philippe Noiret, images extraites du film
Philippe Noiret, images extraites du film


Parmi les autres comédiens du film :  Yvonne Clech , la veuve Mouaque, Yvonne Clech tournera trois ans plus tard dans  Le feu Follet  de Louis Malle,  Nicolas Bataille, Fédor, le chauffeur du bus Cityrama, Antoine Roblot, Charles le taxi. Sans oublier bien sûr Catherine Demongeot  dans le rôle de Zazie et qui tournera trois autres films, le dernier en 1967 avant de se tourner vers l’enseignement.

Fédor, le chauffeur du bus Cityrama
Le bus Cityrama, image extraite du film
Le bus Cityrama
La Tour Eiffel et le bus vintage Cityrama aux allures de juke-box des fifties à roulettes forment un autre couple indissociable du film. Et puis le métro parisien a rendu hommage au film en 1985. Non seulement, il n’était plus en grève, enfin un peu moins, mais sur la ligne 5, il existe désormais une station  Bobigny-Pantin Raymond Queneau.

Notez enfin que les films Zazie dans le métro, Le ballon rouge, Les 400 coups sont disponibles en vidéo et ont fait l'objet, tous les trois, d'une restauration avant d'être réédités en blu-ray.






Gérard Conreur pour France Culture, 24 septembre 2010


Raymond Queneau : Fous Littéraires, Le Chiendent et Cent Mille Milliards de poèmes...


Raymond Queneau© Gallimard, A. Bonin
Raymond Queneau
Raymond Queneau est né au Havre le 21 février 1903. Ses parents étaient commerçants : Ma mère était mercière et mon père mercier. Ils trépignaient de joie. Fils unique dans une famille catholique, Queneau est passionné à la fois de lecture et de mathématiques. Il dévore donc des livres sans nombre... Le Bac en poche, il débarque à Paris et s'inscrit à la Sorbonne pour y suivre des études de philosophie ainsi qu'à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il adhère au groupe surréaliste en 1924. Il y rencontrera notamment André Breton mais aussi Jacques Prévert, l'historien du cinéma Georges Sadoul et Marcel Duhamel, fondateur de la Série Noire chez Gallimard avec lesquels il formera le groupe de la rue du château. 


1925-1927, le temps de son service militaire en Algérie et au Maroc et de s'initier à l'arabe. Queneau est incorporé dans un régiment de zouaves. Au Maroc, il participera à la Guerre du Rif. Après son retour à Paris, il épouse en 1928, Janine Khan, la belle-soeur d'André Breton. L'année suivante il rompt avec les surréalistes et commence véritablement à écrire, c'est l'époque des fous littéraires mais aussi d'une certaine instabilité professionnelle qui verra Queneau s'engager dans plusieurs métiers. Au bout du compte et face à ces échecs, il suivra alors plusieurs psychanalyses. 



Le Chiendent, son premier roman, est publié à la NRF en 1933. Queneau s'y amuse à confronter l'oral et l'écrit malmenant la syntaxe et introduisant des règles mathématiques. Le livre obtient le Prix des Deux Magots, le premier prix puisque c'est la première fois en 1933 que le Prix des Deux Magots est attribué. Le style de Raymond Queneau est né, unique. Dès lors, les titres vont s'enchainer, romans et poésie... En 1938, Raymond Queneau entre aux éditions Gallimard en qualité de lecteur, de traducteur puis membre du Comité de lecture. En 1947, parution des Exercices de style, premier succès auprès du grand public. En 1950, Queneau entre à l'académie Goncourt et au Collège de Pataphysique. 

Le Paris de la Libération est aussi celui de Saint Germain-des-Près. Comment ne pas mentionner Si tu t'imagines sur une musique de Joseph Kosma et qu'interprète Juliette Gréco en 1949. Saint Germain-des-Près, le café de Flore, Jean-Paul Sartre. D'autres textes de Queneau font le bonheur des Frères Jacques. C'est ensuite l'aventure de Monsieur Ripois, film de René Clément avec Gérard Philipe dans le rôle principal et dont Raymond Queneau participe à l'adaptation du scénario. Le film sort en 1954, deux ans après Jeux interdits du même René Clément. Queneau récidive deux ans plus tard, il est co-scénariste de La mort en ce jardin que réalise Luis Bunuel. 

A partir de 1954, Queneau dirigera l'Encyclopédie de la Pléiade, ce qui lui permettra d'entrer dans une période d'accalmie financière. C'est ensuite, en 1959, la parution de Zazie dans le métro puis en 1960 la fondation avec François le lionnais du groupe de l'Oulipo, Ouvroir de Littérature Potentielle dont la publication de Cent mille milliards de poèmes en 1961 constitue un exploit littéraire : « une sorte de machine à fabriquer des poèmes » selon Queneau. 

Raymond Queneau qui s'était un peu retiré de la vie publique après la disparition de sa femme au début des années 70, meurt le 25 octobre 1976 à Paris. Son oeuvre marquera profondèment la littérature mais pas seulement. Les phrases de notre quotidien sont souvent colorées, peinturlurées à la Queneau sans que nous ne prenions conscience de l'invisible présence de ce grand gourou des mots dits. 

A lire aussi : 50 ans de Zazie dans le métro


Gérard Conreur pour France Culture, 20 novembre 2009

mardi 10 novembre 2009

11 novembre 1918 à 11 heures : Un message de première importance

Le Muguet Porte-Bonheur
 
Le simple fait que les derniers survivants français de la Première Guerre mondiale ne soient plus de ce monde risque de nous éloigner plus encore d'un fait d'histoire majeur. Au fil des années à venir, les contours de 14-18 vont apparaître aux jeunes générations avec moins d'acuité. Un peu comme c'est le cas aujourd'hui avec la guerre franco-prussienne de 1870 qui - pensez donc ! - précipita la chute du Second empire après le célèbre désastre de Sedan...

La Première Guerre mondiale fut évidemment bien plus meurtrière que celle de 70 qui est pratiquement entrée dans l'imagerie d'Epinal. Les chiffres l'attestent sans peine, l'âpreté, la durée des combats : plus de 300 000 morts à Verdun, pratiquement onze mois d'affrontement, de février à décembre 1916. Une « Victoire » française mais le terme est-il judicieux ? Tant de souffrance et tant de sang, une terre à jamais meurtrie, paysage lunaire avec ses cratères. Tout cela pour une victoire plus symbolique que stratégique. La France se drape dans l'honneur de Verdun mais le linceul est hors de prix.

Mais il n'y a pas que Verdun ou la Bataille de la Somme qui se déroula aussi en cette année 1916. Les Dardanelles un peu plus tôt, le Chemin des Dames beaucoup plus tard. Au-delà de ces termes exotiques ou charmants, il y a une guerre au quotidien avec des poilus qui s'enterrent chaque jour un peu plus dans les tranchées, qui écrivent à leurs proches. En ville, des femmes qui prennent la place des hommes dans les usines, qui conduisent des tramways. Et puis, à l'arrière, des planqués qui ne font pas grand-chose d'utile mis à part de planter de temps à autre, selon les nouvelles des journaux ou les communiqués de l'Etat-major des petits drapeaux sur la carte du front. Pourvu qu'ils tiennent, disait d'eux un dessin satirique dans la presse de l'époque.

La France jusque là puissance économique majeure est dévastée. S'en est fini du règne redoutable du franc-or, le franc de Germinal. Désormais le pays va devoir tendre la main aux nouveaux riches et faire une croix sur les emprunts russes dont il ne reverra jamais la couleur d'un sou. C'est cela aussi la guerre. Et puis, pour finir le cauchemar, cette grippe espagnole, sorte de H1N1 contre laquelle il n'existait aucun vaccin et qui va faucher par millions, hommes, femmes et enfants que les pénuries et privations de toutes sortes ont fragilisés.



Fortuné l'infortuné

Les chiffres de victimes ont un gros défaut : s'ils marquent les esprits, ils ne font pas dans le détail. Il ne faut donc ne pas en abuser et revenir vers l'unité - ce qui est unique, l'individu. Avec deux poilus de la Grande Guerre. Le premier s'appelait Fortuné Emile Pouget, il était cavalier au 12ème Chasseur. Il a été tué d'une balle qui lui a traversé le crane alors qu'il montait la garde pas très loin de Pont à Mousson. Il ne s'est rendu compte de rien. L'infortuné Fortuné avait 21 ans et probablement une gentille fiancée qui ne s'appelait pas Nini peau d'chien mais qui l'attendait à Paname.

Parisien, il était passé par la Lorraine et s'y était arrêté. Définitivement. Signe particulier, tué le 4 août 1914, c'est le premier mort de la Grande Guerre. Avant lui, le 2 août, un officier allemand abat d'un coup de révolver, le caporal Peugeot au sud de Belfort. Seulement voila, le 1er août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie, le 3 à la France. Le 4, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne et le 5, l'Autriche-Hongrie entre dans le conflit. Sordide logique, Peugeot est mort alors que la France n'était pas en guerre contre l'Allemagne. Il n'est donc pas le premier mort de la guerre 1914-1918.

Augustin Trébuchon 1878-11 nov 1918
Lorsque tomba Augustin Trébuchon
S'il y a eu un premier mort en 1914, il y en a eu un dernier, bien sûr, en 1918. Mais là encore, les choses ne sont pas si simples. L'armistice est signé le 11 novembre 1918 entre 5h10 et 5h20 du matin dans un wagon-salon du train du maréchal Foch, dans un endroit tenu secret, en forêt de Compiègne, la futaie de Rethondes.
Emprunté du latin médiéval armistitium, formé à l'aide du latin arma, « arme(s) », et statio, « état d'immobilité », l'armistice ne signifie donc pas la fin de la guerre mais la suspension des hostilités convenue entre des belligérants. Son entrée en vigueur est fixée au même jour à 11 heures et donc le 11 du 11ème mois à 11 heures. Les armes ne vont pas se taire le 11 novembre et pour reprendre ce chiffre 11, on estime que le dernier jour de guerre a pu faire 11 000 morts.

Parmi ces morts, un quart d'heure avant le cessez-le-feu, à 10h45, tombe Augustin Joseph Louis Victorin Trébuchon, estafette de 1ère classe, porteur d'un message pour son capitaine. Agé de 40 ans, il avait traversé toute la Guerre depuis 1914. Il est « Mort pour la France » mais à un petit détail près. Pour les autorités militaires, pas question de mourir le jour de la victoire. Alors, on a avancé sa mort d'une journée comme pour ...tous les autres soldats français morts ce jour-là. En ce qui concerne le message dont Trébuchon était porteur et qui lui coûta la vie, il émanait de l'Etat-major de Foch et fixait la fin des combats à 11 heures.

Lire : survivants officiels, officieux et anonymes


Gérard Conreur pour France Culture, 10 novembre 2009

11 novembre 1918 à 11 heures : Survivants officiels, officieux et anonymes


Lazare Ponticelli, son dernier armistice ©Charles Platiau Reuters
Lazare Ponticelli, son dernier armistice
« J'exprime aujourd'hui la profonde émotion et l'infinie tristesse de l'ensemble de la nation alors que disparaît Lazare Ponticelli, dernier survivant des combattants français de la Première guerre mondiale ». C'est Nicolas Sarkozy qui écrit ces mots et l'Elysée précise qu'un hommage national sera rendu dans les prochains jours « à l'ensemble des Français mobilisés durant la Première guerre mondiale. » Nous sommes le mercredi 12 mars 2008.  

Lazare Ponticelli était une figure emblématique : « J'ai voulu défendre la France parce qu'elle m'avait donné à manger » disait-il avec des mots qui ne trompent pas. Famille très pauvre d'Emilie Romagne que la misère achève de disloquer. Père et frère morts, abandonné par sa mère puis par le reste de la famille partie en France où il y a du travail. Lazare trop jeune est resté là en Italie, dans son pays, mais seul. Alors lui aussi va partir et connaître le destin tricolore que l'on sait.

1er janvier 2008, une période propice aux voeux de bonne et heureuse année et qui va reléguer au second plan la disparition de Erich Kästner. Erich Kästner était une figure en Allemagne : poète, écrivain, scénariste. Ses oeuvres ont été adaptées au cinéma. En France, on peut citer par exemple : Les Aventures fantastiques du baron Munchhausen. En fait et pour couper court, cet Erich Kästner n'est pas celui qui nous intéresse.


Les caresses de guerre ont un charme troublant
Survivant anonyme

Le Erich Kästner décédé le 1er janvier 2008 à l'âge de 107 ans était surtout connu pour être le deuxième plus vieil homme vivant en Allemagne et beaucoup moins pour être le dernier survivant de 14-18. Parce qu'en Allemagne la Seconde Guerre mondiale avec ses abominations, sa puissance meurtrière, a relégué la Grande guerre de 1914-1918 au second plan. Et puis, le pays était vaincu et humilié. Alors à quoi bon dresser des listes ou commémorer quoi que ce soit, en l'occurrence, une défaite nationale ?

Kästner qui avait défilé devant le kaiser Guillaume II eut le droit de remettre ça en 1939-1945 avant de disparaître anonymement alors que chacun fêter la nouvelle année 2008. Alors, un mort est-il égal à un autre mort ? Pour un poilu discutant avec un autre poilu dans la boue des tranchées, peut-être. Sûrement pas pour un militaire, encore moins pour un politique.

En France et jusqu'en 1995, seuls les anciens combattants touchant une retraite et les pensionnés pour invalidité étaient recensés. Trois mois de front et une demande formelle étaient nécessaires. Dans les arcanes d'une bureaucratie qui fait de la France un pays exemplaire, on peut penser qu'au moins deux vénérables poilus ont échappé aux honneurs faute d'un temps de présence suffisant au front. C'est le cas de Pierre Picault et de Fernand Goux qui ont survécu à Lazare Ponticelli avant de disparaître tous les deux en novembre 2008 respectivement âgés de 109 et 108 ans.

Lire aussi : 11 novembre 1918 à 11 heures : un message de première importance

Gérard Conreur pour France Culture 10 novembre 2009