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Zazie dans le métro, Catherine Demongeot |
Je vous vois vernir avec vos Pataugas… L’objet de ce papier
n’est pas de nous plonger dans l’œuvre de Raymond Queneau dans sa profondeur et sa prolixité mais
simplement de dire : « Tiens, Zazie dans le métro. Cinquante ans,
déjà…? » Cela suffit à suspendre aux lèvres un sourire plein de tendresse
mêlée d’une pointe de nostalgie.
Attentive relecture et véritable récréation… Retour aussi dans l’univers
cinématographique très inspiré de Louis Malle avec ce Paris que nous avons
laissé lentement mais sûrement disparaître.
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Le ballon rouge, Albert Lamorisse (1956) |
L’action se passe à
Paris en 1959, trois ans après
Le ballon
rouge, le film d’
Albert Lamorisse qui nous emmenait à Ménilmontant. Pourquoi
cette précision ? Parce que dans les deux cas, Paris constitue bien plus
qu’un décor de film ou de roman, c’est un personnage à part entière. Et s’il
est question du film de Louis Malle réalisé un an après la publication du roman
de Queneau chez Gallimard, ce personnage devient un témoin privilégié de cette
époque-là. Début de la
Vème République, vol inaugural de la
Caravelle
qui par son élégance et ses performances fait
toute la fierté d’Air France. La France est au cœur des
Trente-Glorieuses. Les
rues de Paris sont envahies de Dauphine, de Simca Aronde. Il reste encore des
cohortes bruissantes de 4 chevaux qui virevoltent comme des escadrilles
d’abeilles pataudes et là, plus loin, ce gros hanneton ventru c’est la fameuse DS 19 que De
Gaulle également ventru, Mon général, met au premier plan de notre industrie
automobile nationale. Ce qui surprend aussi en cette année 59 à Paris, c’est
cette foule sur les trottoirs qui se croise et se recroise comme une armée de
fourmis folles sur un kilo de sucre en morceaux dans des couleurs de néon rouge
sur fond de formica bleu, de chrome et de verre. Il y a des cafés sur les
boulevards où l’on boit des petits noirs, des blancs cassés, des fines à l’eau
en fumant de la Gauldo en avalant des œufs durs à la fraîcheur rétive disposés
dans un présentoir bancal de fil de fer sur un zinc en matière plastique. Il y
a aussi sur ces mêmes zincs des distributeurs rudimentaires. Pour 20 centimes
d’ancien Franc et un vigoureux tour de mollette, une poignée de cacahuètes
salées atterrit dans une soucoupe en plastique. Toujours ce fameux plastoc…
C’est beau le progrès.
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Les 400 coups de Truffaut |
Les prénoms à la mode cette année-là :
Gérard et
Philippe tandis que le petit cimetière de
Ramatuelle accueille le grand acteur revêtu pour l’éternité de son
costume de Don Rodrigue, le Cid. A quelques pas de là, Saint-Tropez et la
Madrague dont Brigitte Bardot a fait l’acquisition l’année précédente. Sur les
écrans,
Les 400 Coups , film on
ne peut plus autobiographique d’un
jeune
réalisateur de 27 ans qui compte bien régler son compte au cinéma de
Papa :
François Truffaut. Curieusement et là encore, Paris est un
personnage remarquable du film. Alors pourquoi, Paris reine du monde et star du
cinéma ? Parce que les caméras de la Nouvelle Vague, plus légères, sortent
des studios d’Epinay ou de la Victorine et filment la vie – la ville – telle
qu’elle est, sans décor, ni artifice. Paris encore au premier plan :
A bout de souffle, Godard, 1960. Et il y a
d’autres films de cette époque qui nous baladent dans un Paris qui restera
toujours Paris même si de grandes métamorphoses se profilent. Rivette en
1961 :
Paris nous appartient.
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La grande Annie Fratellini et Antoine Roblot - Images extraites du film |
Zazie dans le métro, parcours initiatique ou folle course
poursuite d’une gamine délurée dont l’unique rêve est de se
« voiturer » dans un métro malheureusement en grève ce jour-là
?
C’est selon et chacun y verra midi au clocher de Saint Germain des
Près, de Notre Dame ou de Saint-Glinglin, Priez pour nous... Pour que le
bonheur soit complet, il fallait à la fois relire les bonnes pages du livre -
c'est-à-dire le bouquin dans son intégralité - et revoir non pas les enfants
mais le film de Louis Malle, violent poil-à-gratter des mœurs paisibles du
temps. Stupéfaction ! Ici, les gens boivent trop, ils fument comme des
pompiers et disent de gros mots orduriers à jets continus. Ainsi avant même mai
68, les gens savaient user et abuser sans modération et jouir sans entraves. En
plus, ils avaient déjà le gaz et l’électricité.
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Zazie dans le métro en Blu-Ray (Arte Editions) |
Doukipudonktan !
Gabriel, à la gare d’Austerlitz, guette
l’arrivée de sa nièce Zazie Lalochère, une gamine de 10 ans plutôt délurée dont
le rêve unique en venant à Paris est de grimper dans le métro malheureusement
en grève ce jour-là. Pour ce dernier point, nous sommes, bien sûr, dans une
œuvre de fiction. Zazie devra se contenter d’un taxi conduit par Charles, l’ami
de Gabriel. Arrivée à destination au café Turandot, elle fera la connaissance
d’un petit monde truculent : Mado P’tits Pieds, la serveuse du bistro, la
tante Albertine qui pourrait bien se nommer Albert. D’ailleurs, que fait de ses
nuits le tonton Gabriel ? Réponse : la danseuse espagnole dans un
claque car il n’y a pas de sot métier. Du coup, Zazie se demande s’il ne serait
pas un peu
homosessuel ? A défaut
de métro, Zazie va découvrir le marché aux puces de Saint-Ouen, la Tour Eiffel,
Paris, des lieux improbables mais pourtant si connus et des gens inconnus
pourtant si probables. Pour le bien, il faudrait avoir le livre devant les yeux
et regarder en même temps le film. C’est possible sans le moindre strabisme et
il n’y a d’ailleurs aucun (Louis) Malle à cela…
On ne peut regarder Zazie dans le métro sans émotion en songeant en premier lieu à Louis Malle, disparu en 1995. Ensuite,
Turandot, le bistrotier n’est autre que Hubert
Deschamps , éternel râleur du cinéma français et oncle de Jérôme Deschamps.
Ferdinand Gridoux est incarné par Jacques Dufilho , dont la filmographie-fleuve
et pas si tranquille va de 1939 à 2004 : soit 163 films sans oublier le
théâtre et la télévision ! Mado
P’tits Pieds est jouée par la grande Annie Fratellini, compagne de Pierre Etaix
dont nous pouvons enfin revoir les films. Un autre grand comédien disparu,
l’Italien Vittorio Caprioli qui est
Trouscaillon. Si ce nom ne vous dit rien, souvenez-vous de ce restaurateur
furieux d’avoir perdu une étoile dans le guide Duchemin et qui impose sous la
contrainte d’un fusil de chasse à Louis de Funès de consommer une choucroute à
pleines mains. Dernier grand acteur de Zazie, Philippe Noiret, bien sûr, dans le rôle de
l’oncle Gabriel. Noiret est alors âgé de 30 ans. Zazie est son sixième film. Le
nom de Philippe Noiret à l’époque est surtout lié au Théâtre National
Populaire, à Jean Vilar, Gérard Philipe, la très belle aventure du Festival d’Avignon, celui des origines qui n'intéressait personne. Pour Zazie dans le métro, les scènes jouées par Philippe Noiret notamment lors de la visite de la Tour Eiffel sont à couper le souffle. Noiret a-t-il été doublé ? S'agît-il de trucages, d'effets spéciaux ? Si quelqu'un connaît la réponse, qu'il n'hésite surtout pas à me contacter.
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Philippe Noiret, images extraites du film |
Parmi les autres comédiens du film : Yvonne Clech , la veuve Mouaque, Yvonne Clech
tournera trois ans plus tard dans Le feu
Follet de Louis Malle, Nicolas Bataille, Fédor, le chauffeur du bus
Cityrama, Antoine Roblot, Charles le taxi. Sans oublier bien sûr Catherine Demongeot dans le rôle de Zazie et qui tournera trois
autres films, le dernier en 1967 avant de se tourner vers l’enseignement.
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Fédor, le chauffeur du bus Cityrama |
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Le bus Cityrama |
La Tour Eiffel et le
bus vintage Cityrama aux allures de juke-box des fifties à roulettes forment un
autre couple indissociable du film. Et puis le métro parisien a rendu hommage
au film en 1985. Non seulement, il n’était plus en grève, enfin un peu moins,
mais sur la ligne 5, il existe désormais une station
Bobigny-Pantin Raymond Queneau.
Notez enfin que les films
Zazie dans le métro,
Le ballon rouge,
Les 400 coups sont disponibles en vidéo et ont fait l'objet, tous les trois, d'une restauration avant d'être réédités en blu-ray.
Gérard Conreur pour
France Culture, 24 septembre 2010