C’est un
curieux bâtiment venu d’une autre galaxie qui s’est posé en terre messine. Ses
courbes, ses transparences évoquent le cocon d’un alien assoupi. C’est un
vaisseau immense de plus de 10 000 mètres carrés que surplombe une flèche
acérée : 77 mètres. La couverture de l’édifice ? Une voile de téflon
et de fibre de verre. Mais on pourrait dire aussi un voile,
si ce mot ne servait à dissimuler, ce qui constitue l’inverse exact de l’art. Ajoutons
à cela un savant cannage de poutrelles de bois élancées. L’œuvre - car s’en est
une - la première que nous livre ce Centre Pompidou dans sa version mosellane,
est signée Jean de Gastignes et Shigeru Ban.
Talentueux tandem franco-nippon sur une table à dessin partagée.
Décidément
les Centres Pompidou, père et fils, n’en finiront jamais de
nous surprendre. Dans les années soixante-dix, le premier suscita une véritable
indignation chez les uns, y compris chez les jeunes, tandis que d’autres,
amusés ou ébahis, n’en pensaient rien de précis. A titre préventif, ne faut-il
pas se souvenir de ce que Maupassant pensait d’une tour parisienne ridiculement
vertigineuse dont il espérait ardemment la démolition dès la
fermeture de l’Exposition universelle de 1889 ? Il ne fait aucun doute que l’on
trouvera tous les défauts de la terre à l’architecture du Centre Pompidou-Metz.
D’ailleurs, alors même que rien n'est ouvert, que les préparatifs sont en voie d'achèvement, c'est déjà le cas et des mots durs fusent comme des pétards de kermesse. Beaucoup de bruit pour rien.
Pour le reste, la vocation du Centre Pompidou-Metz est un peu celle d’un point relai comme il en existe dans le commerce en ligne. A ceci près que la marchandise livrée chez le consommateur, c’est cet art qui valait jadis le déplacement. Aujourd’hui, on ne se déplace que si on le veut bien. On ne monte plus à la capitale que pour le Salon de l’Agriculture alors même que ce ne sont ni les porcs, ni les poules qui manquent dans nos sous-préfectures. C’est l’art qui voyage et se pose en des lieux parfois improbables. Souvenons-nous du Palazzo Grassi cher à François Pinault dont les œuvres migrèrent vers le Nord pour s’afficher effrontément au Tri Postal de Lille en 2007-2008. On parle encore dans la capitale des Flandres de ces éléments de la Pinault Foundation qui furent bienvenue chez les Ch’tis. Autre exemple, plus ancien, avec le musée Guggenheim de New York qui sut également exporter une partie de ses œuvres à Bilbao.
« Point
relai » donc et sans arrière pensée. Le Centre Pompidou-Metz, ce n’est pas
une succursale, ni une modeste officine de province, ce n’est pas un musée non
plus – au sens classique du terme - car il ne possède pas de fonds propres mais
se renouvellera en permanence avec des collections venues de la maison-mère.
La démarche
de Beaubourg à Metz sera identique avec le Louvre-Lens qui
devrait voir le jour en 2012. A croire qu’en France les anciens bassins miniers,
ceux de la sidérurgie ou encore de l’industrie constituent autant de territoires à
reconquérir. Il ne s’agît pas de gommer la mémoire ouvrière car nous sommes, au
contraire, dans un prolongement de vie, dans une forme de renaissance. Le
Louvre-Lens sera édifié sur le carreau d’une fosse – la fosse 9 des Mines de
Lens ouverte en 1886. La Première Guerre mondiale n’en laissera que des ruines
et dix ans seront nécessaires pour tout reconstruire y compris les modestes
corons ouvriers, estaminets, petits commerces, écoles et églises anéantis par
l’occupant. La mine et ses gueules noires participeront grandement à l’effort
de reconstruction du pays après une autre guerre, celle de 1939-1945, cette fois. Enfin dans les années soixante, la
Fosse 9 tombe en friche, les installations à l’exemple du fameux chevalet sont
détruites et seuls quelques bâtiments seront préservés. L’heure est à la
reconversion et les espaces, naturellement, se mettent au …vert tapissant une
terre d’histoire.
De même
qu’à Metz, que faire de ces vastes étendues que l’ère industrielle a délaissées
sinon un lieu de plénitude où le regard s’attarde sur ce qu’il existe de plus
indispensablement inutile : l’art ? Jean-Jacques Aillagon qui a dirigé Beaubourg
affiche un déterminisme résolu et nettement précurseur car nous sommes à
la fin des années 90 : sortir les joyaux de leurs écrins, développer une
politique artistique hors les murs « extra muros »
au sens parisien, jacobin du terme, vers nos régions au nom de l’égalité
culturelle. A cela s’ajoute enfin une gestion pragmatique des œuvres. Les
stocks enflent à l’excès, les sous-sols et réserves frisent la saturation, la
place vient à manquer. Que faire ?
De la
place, ni Beaubourg à Metz, ni le Louvre à Lens n’en manqueront. 700 œuvres ont
d’ores et déjà pris la direction Metz. Metz, un élément clef dans ce que
Frédéric Mitterrand appelle « la culture pour chacun » et sans doute de
l’art pour tous. Le Centre Pompidou-Metz sera inauguré le 12 mai par le
président de la République, plusieurs journées portes ouvertes, du 12 au 16
mai, permettront aux visiteurs de découvrir le Centre mais aussi l’exposition
inaugurale intitulée : Chefs-d’œuvre ?
Gérard
Conreur pour France Culture, 12 mai 2010