En 1940,
Albert Camus quitte sa terre natale. Après l’entrée en guerre de la France, il
n’a pas été mobilisé en raison de ses problèmes de santé, de sa tuberculose. Il ne reviendra en Algérie que de façon
épisodique. Sans se retourner, il laisse derrière lui le souvenir de son
premier mariage, malheureux, en juin 1934, qui n’aura tenu que deux ans, avec
Simone Hié. Entre eux, de la morphine d’un côté, des infidélités de l’autre.
Sans doute aura-t-il plus de chance avec Francine Faure, pianiste et
mathématicienne qui saura fermer les yeux sur sa liaison avec l’actrice Maria
Casares. Une liaison, non. Un malentendu sans doute à double titre mais pour la
grande comédienne du futur Festival d’Avignon un premier grand amour. La pièce
s’appelle Le malentendu. Maria Casares à qui on propose le rôle de Martha assiste
à une lecture par l’auteur, un jeune homme qui vit seul à Paris. Son épouse étant
restée en Algérie. La passion est immédiate.
Maria Casares et Jean Vilar |
En 1944,
Maria Casares et Albert Camus apprendront ensemble la nouvelle du Débarquement
de Normandie. Elle saura aussi tout du rôle que son amant a tenu dans la
Résistance à partir de 1941 au sein du réseau Combat. La fin de la guerre les
séparera de la même façon qu’elle met un terme à d’autres clandestinités mais
ils se retrouveront presque par hasard en 1948. Lui mondialement connu après
avoir publié La Peste en 1947, elle ayant terminé à Rome le tournage de La
Chartreuse de Parme avec Gérard Philipe. Ce dernier, également proche de Camus
a créé Caligula en septembre 1945 au théâtre Herbertot. Une pièce en quatre
actes et en prose ébauchée en 1938, publiée en 44 et montée l’année suivante.
On dit qu’elle serait la plus belle du théâtre de Camus et en tout cas celle
qui révéla Gérard Philipe.
Seule la
mort de Camus sépara en 1960 ce fils de la Méditerranée et l’ardente galicienne.
Francine Faure savait tout cela et il est probable qu’au sein du couple, il y
ait eu cette sorte d’arrangement au nom d’une certaine liberté que l’un sans
doute plus que l’autre tenait à préserver, un peu à l’image de Sartre et de Simone
de Beauvoir…
Lors de son arrivée
en France en 1940 avec Francine Faure, le jeune couple s’est installé à Paris.
Albert Camus est entré à Paris-Soir comme secrétaire de rédaction. Le
journalisme lui permettait d’être en phase avec le monde réel, un monde concret
souvent plus complexe que celui des idées qu’affectionnent les littéraires. Et
puis, très vite il a fallu déménager vers la zone libre tant les attaques
allemandes étaient virulentes à l’égard du quotidien parisien de la rue du
Louvre et de Jean Prouvost. Deux ans plus tard, en 1942, publication de deux
textes : un roman L’Etranger et un essai dédié à Pascal Pia Le mythe de
Sisyphe. Deux ans après avoir quitté l’Algérie, Albert Camus l’inconnu est
désormais reconnu. L’Etranger lui vaut une solide notoriété. On salue un style aux phrases courtes mais incisives
comme des lames, parfois banales comme le jour ou plus profondes comme la nuit.
Lyrisme, absurdité. Et puis il y a ce
Meursault, personnage clef de L’Etranger
qui apparaît comme un héros de notre temps. C’est à ce même cycle de l’absurde
qu’appartient Le Malentendu, publié en 1944.
En 1943,
Camus est lecteur chez Gallimard. Plus tard, il va rencontrer Sartre. Entre les
deux hommes va naitre une amitié définitivement impossible. L’œuvre de Camus
est-elle teintée d’existentialisme et notamment Caligula qui fait toujours
partie de ce cycle de l’absurde ? Camus s’est défendu de toute
appartenance à ce mouvement et la rupture avec Sartre qui voit
l’existentialisme au clocher de Saint-Germain des près ou plutôt à la terrasse
du Café de Flore dans la France de l’après guerre sera effective en 1952 et le
clou plus enfoncé encore en 1956 avec La Chute même si au passage Camus se
blesse lui-même avec le marteau d’un texte jugé pessimiste.
La déchirure algérienne
1956 dans le
monde de Camus, c’est bien évidemment l’insurrection de Budapest, la crise de
Suez mais surtout la montée de très vives tensions en Algérie, la visite
qualifiée de désastreuse de Guy Mollet reçu par des jets de tomates et puis le
sang coule, la violence s’installe, les attentats se multiplient. Un malheur
personnel pour Camus dans les pages de l’Express où il signe plusieurs
articles. Il ira même à Alger pour un appel à la réconciliation mais l’enfant du
quartier algérois de Belcourt est plus seul que jamais. La guerre fait flamber
toutes les déraisons et attise les passions à blanc. Les Français d’Algérie, les pieds-noirs
méprisent Camus tandis que les Algériens lui reprochent ses positions jugées
trop tièdes. La blessure est profonde et la cicatrice durable. L’année suivante
est celle du Prix Nobel de littérature pour Albert Camus. Ce n’est pas une
grande surprise car son nom circulait avec insistance depuis plusieurs années
déjà mais La Chute, un an plus tôt, achève de convaincre les indécis, Camus est
choisi « pour son importante œuvre littéraire qui met en lumière, avec un
sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des
hommes. » A l’occasion de la remise du prix, Camus se souviendra de son
instituteur Louis Germain et lui rendra un vibrant hommage.
En 1958,
publication des Discours de Suède après l’Exil et le Royaume. Camus achète une
maison dans le sud du Luberon à Loumarin sans doute parce que la lumière et le
ciel lui rappellent un bonheur perdu au delà de l’horizon.
"Nous ne vivons vraiment que quelques
heures de notre vie…"
Albert Camus, l'Envers et l'Endroit
Le 4 janvier 1960 vers
14h15, une puissante
voiture de luxe, une Facel Vega qui circulait sur la RN 5 en direction de Paris
à une vingtaine de kilomètres de Sens quitte brutalement la chaussée et
s’écrase contre un arbre. Selon l’information que relate Le Monde :
« sous la violence du choc la voiture s’est disloquée. Une partie du moteur
a été retrouvée à gauche de la route, à une vingtaine de mètres, avec la
calandre et les phares. Des débris du tableau de bord et des portières ont été
projetés dans les champs dans un rayon d’une trentaine de mètres. Le châssis
s’est tordu contre l’arbre ».
La voiture
est celle de Michel Gallimard, neveu de l’éditeur Gaston Gallimard. Albert
Camus ayant prévu de se rendre à Paris avait acheté un billet de train
lorsqu’il reçut dans sa maison de Loumarin la visite de Michel Gallimard qui
tout naturellement lui proposa une place dans sa voiture. Albert Camus sera tué
sur le coup, Michel Gallimard succombera à ses blessures quelques jours plus
tard. Dans la carcasse du véhicule, on retrouvera la sacoche de l’écrivain
contenant le manuscrit en cours d’écriture du Premier homme, son journal, Le
Gai Savoir et Othello. Et son billet de train inutilisé.
Albertl
Camus avait 47 ans. Il est enterré au petit cimetière de Loumarin. Il y repose
aux côtés de sa femme, Francine Faure.
Gérard Conreur pour France Culture,4 janvier 2010
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